ses moyens ; & qui ne se permette les véxations les plus criantes pour soutenir ce faste insensé. Rien ne contribue à la décadence de l’empire, autant que l’agrandissement démesuré de quelques-uns de ses membres. Ces souverains, devenus trop puissans, détachent leur intérêt particulier de l’intérêt général. Cette désunion mutuelle fait que, dans les dangers communs, chaque province reste abandonnée à elle-même. Elle est obligée de plier sous la loi du plus fort quel qu’il soit ; &, si l’on n’y prend garde, la constitution allemande pourra bien dégénérer en esclavage ou en tyrannie. L’Allemagne seroit deux fois plus puissante, si elle n’avoit qu’un seul monarque ; & la forme actuelle de son gouvernement ne permet pas d’espérer que jamais ses membres fassent, en faveur du corps, tous les efforts possibles. Les inconvéniens de tout gouvernement composé, sont d’autant plus considérables, que le nombre des confédérés est plus grand, & qu’il y a moins de proportion de rang & de puissance entre les états qui le forment. De là les lenteurs à concourir au bien général, lenteurs souvent aussi funestes que des infidélités ; de là les jalousies, & le choc des intérêts particuliers.
L’Europe doit s’applaudir de ces vices de constitution, sans lesquels l’Allemagne pourroit se flatter de lui donner des loix, ou au moins la tenir dans de continuelles frayeurs.
La puissance d’un état ou d’une confédération, est relative à celle de ses voisins ; l’Allemagne contiguë à la Turquie d’Europe, a pour remparts la Stirie, la Hongrie &la Croatie. Les ottomans, considérables par leur nombre, ne sont point des ennemis dangereux. Peu aguerris, & mal disciplinés, ils n’ont que l’impétuosité du courage, qui s’éteint à mesure qu’ils pénétrent dans les pays froids. La stérilité de la Servie & de la Bulgarie, leur refuse les subsistances nécessaires à de nombreuses armées ; l’Allemagne ne leur a jamais opposé que le quart de ses forces, & des troupes de rebut, mal payées, mal disciplinées. La terreur qu’inspiroit le nom Turc, étoit un effet de la politique autrichienne, qui exagéroit leurs forces pour tirer de plus fortes contributions : la religion a encore contribué à nourrir ce préjugé ; les prêtres & les moines ont tonné dans la tribune sacrée, pour armer l’Europe contre ces peuples infidèles. L’Allemagne n’a rien à redouter de l’Italie gouvernée par différens princes, qui ne peuvent porter la guerre au dehors. La Pologne démembrée & déchirée par des factions, ne figure plus parmi les puissances de l’Europe. Elle n’a ni la force ni l’ambition de faire des conquêtes. Le Dannemack, attentif à conserver ses possessions, ne peut nuire à l’empire, & a besoin de son secours, contre la Suède. L’Angleterre, satisfaite d’être la dominatrice des mers, n’est jalouse que d’étendre ses possessions en Asie & dans le nouvel hémisphère. Les hollandois, nés au milieu des eaux, ont tourné leur ambition du côté de l’Inde. La Suède, sous ses rois conquérans, a enlevé plusieurs provinces d’Allemagne ; mais cette puissance manque d’hommes & d’argent pour soutenir une longue guerre ; c’est un débordement qui se dissipe dans les campagnes qu’il inonde. La France est le seul état qui puisse attaquer avec succès l’Allemagne ; mais la nature a fixé ses bornes, & l’expérience lui a appris qu’elle ne peut les franchir impunément.
Après cette vue générale des rapports politiques de l’Allemagne, nous allons entrer dans des détails plus particuliers.
Rapports de l’empire avec l’empereur. Ceux des princes de l’empire qui ont une grande cour & de vastes domaines, veulent un chef foible ; au-lieu que les princes foibles sont charmés d’avoir un Empereur puissant. Il n’est pas difficile d’expliquer cette différence. Lorsque les forces de l’empereur ne sont pas considérables, l’autorité du collège électoral s’accroît, la voix des grands princes a plus de prépondérance à la diète, & ils agissent plus librement chez eux. D’un autre côté, l’empereur le plus foible peut toujours contenir, dans les bornes du respect & de la dépendance, les petits états du corps germanique. Ceux-ci ont appris qu’ils doivent plier sous l’autorité impériale ; & ils montrent par raison, ou par habitude, une soumission à laquelle ils ne sauroient se soustraire. Leur objet principal est d’avoir un chef assez puissant pour les protéger contre tous les étrangers qui voudroient envahir leurs états, ou les dépouiller de quelques-unes de leurs prérogatives. D’ailleurs, plus ce chef est grand, & plus il a de moyens de leur accorder des bienfaits, d’élever leurs maisons, d’y attacher de nouvelles dignités, de leur donner des fiefs vacans, ou des emplois honorables & lucratifs dans ses armées.
Les princes d’Allemagne s’occupent aussi de la conservation de toutes les provinces de l’empire. La perte d’une seule affoiblit la puissance du corps entier : quand on consulte l’histoire, & cette partie du droit public qui traite des limites anciennes & modernes du saint-empire, on est étonné de voir combien il a perdu de pays depuis quelques siècles. Il est sûr qu’il doit la plupart de ces pertes aux guerres particulières des empereurs, dans lesquelles l’empire a été malheureusement engagé, & sur-tout à la rivalité des maisons d’Autriche & de Bourbon. Cette observation seule prouve assez que l’état de neutralité est convenable à l’empire ; en effet le corps germanique ne peut jamais rien gagner en se mêlant de querelles étrangères, & il risque toujours de perdre