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ment est accompagné de la clause appellée commisssoire ou irritante, c’est-à-dire, de la stipulation que, si l’on ne rend pas dans un certain temps la somme reçue, la partie d’état engagée demeurera à l’engagiste & deviendra une aliénation absolue. Ce n’est pas seulement parce que l’aliénation est souvent une suite de l’engagement, c’est encore parce que le peuple, en se donnant un roi, a voulu être gouverné par lui & non par un autre, & que tous les membres qui se sont réunis à l’état, sont censés avoir voulu demeurer inséparablement unis à la nation. Mais il faut distinguer entre le fonds même des propriétés de l’état & les revenus qu’elles produisent ; le roi peut disposer des revenus, comme il le juge à propos, quoiqu’il ne puisse en aliéner le fonds ; il a le droit d’établir de nouveaux impôts, lorsque les besoins publics le demandent ; il peut, dans un moment de besoin, engager quelque partie du domaine, & le peuple est tenu de le racheter ; car le peuple étant obligé de payer les impôts que le prince exige en pareil cas, il doit racheter ce que le prince a engagé dans les besoins publics : il n’y a point de différence entre donner de l’argent pour empêcher qu’on n’engage une chose, ou la racheter après qu’on a été contraint de l’engager. Quoique chaque citoyen doive alors contribuer pour sa part au paiement de la somme empruntée, aucun cependant ne peut être regardé en particulier comme débiteur de cette somme. Si le prince a fourni quelque chose de son patrimoine particulier pour les besoins de l’état, le domaine lui est comme hypothéqué pour la valeur de la dette.

Au reste, ce qu’on vient de dire suppose que les choses ne se trouvent pas autrement réglées par des loix fondamentales & par le droit public de chaque état ; qu’on n’a pas resserré ou étendu le pouvoir du prince ou celui du peuple. La Science du Gouvernement, par M. de Réal, tom. 4.


Section VIe.
Malgré les principes adoptés en France sur l’inaliénabilité du domaine de la couronne, seroit-il utile d’aliéner ce domaine dans un moment de besoin ?

C’est une maxime du gouvernement françois que le domaine de la couronne est inaliénable. Voyez le Dictionnaire de Jurisprudence : cette maxime étoit très-sage, & nécessaire à l’époque où elle fut adoptée.

Lorsque le domaine pouvoit suffire à la dépense du souverain, il importoit de ne pas s’exposer à la nécessité de recourir à des moyens extraordinaires, toujours onéreux aux peuples par le fardeau actuel qui leur est imposé, & dangereux parce qu’on les prolonge quand les besoins ne subsistent plus ; mais si presque tout ce domaine a été usurpé pendant les troubles, ou aliéné pour subvenir aux dépenses, ou donné à des sujets qui avoient servi l’état, s’il est réduit à une valeur si modique, qu’on le compte à peine parmi les revenus de la couronne ; enfin si on a été obligé de mettre différens impôts sur les peuples, pour tenir lieu de ce domaine, il semble que la maxime de l’inaliénabilité devroit changer.

Il ne faut, dit-on, rien changer aux loix & aux usages : en supposant ce principe vrai, on doit toujours excepter les cas où l’utilité, & encore plus la nécessité, demande qu’on y déroge ; c’est une réflexion de M. de Sully, t. 3, in-12, p. 102.

En divisant les terres du domaine en plusieurs portions, & en donnant, à prix d’argent, la propriété de ces terres à plusieurs chefs de famille, à la charge de certaines redevances annuelles, & des droits de relief, suivant la coutume, le Roi conserveroit une partie du revenu actuel, il recevroit des sommes considérables, il augmenteroit la richesse des particuliers, & par conséquent la sienne, puisqu’il n’est & ne peut être riche qu’autant que ses sujets sont dans l’abondance.

Ceux qui jouissent de quelques portions du domaine aliéné, n’en recueillent pas à beaucoup près tous les fruits qu’ils pourroient en tirer : sans la maxime d’une réversibilité éternelle, on les verroit plus actifs & plus industrieux ; mais ils craignent que les améliorations n’inspirent l’envie de les dépouiller par des enchères ; ils négligent les cultures, & ils étouffent, pour ainsi dire, les germes de la reproduction, afin que le revenu n’excède pas d’une manière trop sensible la redevance qui leur est imposée.

En vertu du rachat perpétuel que le roi s’est réservé, il peut retirer tous les domaines, & les revendre ; les acquéreurs ont traité sur ce pied, & lorsqu’on les dépouille, on ne commet pas d’injustice à leur égard. Mais pour remplir l’objet que je propose, ces ventes devroient être faites avec renonciation solemnelle à tous droits de réversion.

La certitude d’une propriété incommutable donneroit à ces héritages une valeur qui excéderoit de beaucoup le prix de leur cession primitive. Les sommes que procureroit cette opération, seroient employées d’abord au remboursement des engagistes, & l’excédent seroit porté au trésor royal.

À l’égard de ceux qui possèdent à titre de récompense ; ou l’on a fait des évaluations des domaines qui leur ont été abandonnés, ou l’on n’en a point fait ; si l’on a fait des évaluations, il seroit juste de les dédommager en argent ; si l’on n’en point fait, on pourroit les laisser jouir comme ils ont fait jusqu’à présent, mais incommutablement & sans retour. De cette manière, les premiers n’auroient pas lieu de se plaindre, & les seconds auroient de nouvelles graces à rendre à l’état.

Les règles observées dans l’empire romain, dont le riche & vaste domaine méritoit toute l’attention du gouvernement, étoient bien différentes de