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quelle ressource reste-t-il dans ces circonstances à l’état, que d’ouvrir ses ports aux étrangers qui veulent acheter ses grains, afin d’augmenter le nombre des demandeurs ?

Les étrangers consomment le grain ou le magasinent. Si c’est pour leur consommation qu’ils l’exportent, la quantité est borrnée, parce que plusieurs pays abondans les fournissent en concurrence. Si c’est pour magasiner, les achats sont en raison du bas prix, & si rapides, qu’on n’est averti souvent de l’excès que par ses effets. Chaque cultivateur affamé d’argent s’est empressé de vendre pour satisfaire son besoin pressant, & sans en prévoir de plus grand. Une mauvaise récolte survient, les étrangers nous revendent cher cette même denrée, dont nous leur avons abandonné le monopole.

Si les sujets eussent formé la même spéculation, non-seulement l’inconvénient public d’une balance ruineuse pendant la disette lui eût été épargné, mais les inconvéniens particuliers qui sont une suite, soit du trop bas prix des grains, soit de leur prix excessif, & souvent pour plusieurs années, n’eussent point existé.

Car si nous supposons que dans chaque province, plusieurs particuliers fassent, dans les années abondantes, des amas de bled, la concurrence sera bien mieux établie que lorsque 80 ou 100 négocians de Hollande feront acheter la même quantité par un petit nombre de commissionnaires. Il y aura donc plus de demandeurs, conséquemment le prix haussera. Il est d’autant plus certain que cela s’opérera ainsi, que ces mêmes quatre-vingt ou cent négocians de Hollande ne laisseront pas de chercher, comme auparavant, à profiter du bas prix dans les premiers mois qui suivront la récolte.

Le passage de la révolution causée par la surabondance sera évidemment si promt, qu’il ne pourra porter aucun préjudice au cultivateur, il jouira au contraire de toute sa richesse, & il en jouira en sûreté. Car si la récolte suivante vient à manquer, chacun saura que tels & tels greniers sont pleins : la faim d’imagination plus effrénée que l’autre peut-être, n’apportera aucun trouble dans l’ordre public. Tandis que d’un côté les demandeurs seront tranquilles, parce qu’ils sauront qu’il y a de quoi répondre à leur demande ; les possesseurs du grain instruits comme les autres de l’état des provisions, appréhenderont toujours de ne pas profiter assez-tôt de la faveur qu’aura pris la denrée. Ils vendront de temps en temps quelques parties pour mettre au moins leur capital à couvert : la concurrence des parties exposées en vente, arrêtera continuellement le surhaussement des prix, & accroîtra la timidité des vendeurs.

Le seul principe de la concurrence donne la marche sûre de ces diverses opérations, tant ses ressorts sont actifs, & puissans.

La pratique d’un système si simple ne peut rencontrer que trois difficultés ; la contradiction des loix, le préjugé populaire contre la garde des bleds, & le défaut de confiance.

Si la nécessité d’envisager l’agriculture comme un objet de commerce a été démontrée aussi clairement que je l’espère, il faut conclure que les loix qui gênent le commerce intérieur des grains, sont incompatibles avec la prospérité de l’agriculture.

L’objet du commerce est certainement d’établir l’abondance des denrées ; mais l’objet du commerçant est de gagner. Le premier ne peut être rempli que par le second, ou par l’espérance qu’on en conçoit. Quel profit présentera une spéculation sur des denrées qu’il est défendu de garder jusqu’à ce qu’elles renchérissent ? Trois & quatre moissons abondantes de suite ne sont point un spectacle nouveau pour la France ; on remarque même que ce n’est qu’après ces surabondances réitérées, que nous avons éprouvé nos grandes disettes.

La loi qui défend de garder des grains plus de trois ans, a donc dû opérer le contraire de ce qu’elle s’étoit proposé. Je n’ai garde cependant de soupçonner qu’elle manquât d’un motif très-sage : le voici.

L’humidité de nos hyvers & de la plûpart de nos terreins à bled, est très-contraire à la conservation des grains. L’ignorance ou la pauvreté de nos cultivateurs hâtoient encore les effets pernicieux de la mauvaise disposition des saisons, par le peu de soins qu’ils employoient à leurs greniers. L’espérance cependant qui préside presque toujours aux conseils des hommes, prolongeoit la garde jusqu’à des temps où la vente seroit plus avantageuse, & la perte se multiplioit chaque jour. Enfin ces temps si attendus arrivoient, les greniers s’ouvroient ; une partie du dépôt se trouvoit corrompue. Quelques précautions qu’on prît pour en dérober la connoissance au peuple lorsqu’on la jettoit dans les rivieres, il étoit impossible qu’une marchandise d’aussi gros volume se cachât dans le transport. Ce spectacle sans doute perçoit le cœur des pauvres, & avec raison ; ils se persuadoient le plus souvent que ces pertes étoient une ruse pour renchérir leur subsistance ; l’incertitude même des faits, le mystère qui les accompagnoit, tout effarouchoit des imaginations déjà échauffées par le sentiment du besoin.

Cette réflexion développe toute la richesse du présent que M. Duhamel a fait à sa patrie. Il a prévenu d’une manière simple, commode, & trés-peu coûteuse, ces mêmes inconvéniens qui avoient excité le cri général, & même armé les loix contre la garde des bleds.

Ajoutons encore qu’il est difficile que les réglemens ne portent l’empreinte des préjugés du siécle qui les a dictés. C’est au progrès de l’esprit de calcul qu’est attaché leur destruction.

Les raisonnemens que nous avons employés jusqu’à présent, démontrent combien sont fausses les préventions populaires sur les profits qui se font