PArmi les animaux répandus sur la surface du globe que nous habitons, l’homme est le seul qui s’empare de la terre elle-même, qui la subjugue par son intelligence & son travail ; qui la contraigne à lui fournir par préférence les productions qu’il désire, à les faire naître avec plus de certitude & d’abondance, à les douer des qualités qui lui font plus agréables ou plus avantageuses.
L’homme est le seul qui sçache façonner les matériaux sortis des mains de la nature dans un état informe de simplicité primitive ; qui les analyse, les sépare, les combine, les polisse, les incorpore, pour former de vingt substances différentes, un seul objet de jouissances.
Il est le seul enfin qui puisse d’un pôle à l’autre, en voiturant à son gré sur la terre & sur l’on de les ouvrages de l'art formés sous les climats les plus éloignés, en communiquant avec facilité jusques à l'émisphère opposé, ses pensées, ses travaux & ses propriétés, rassembler dans le point qu’il occupe toutes les richesses des deux mondes.
Tels sont les heureux fruits de la société, que l’Auteur même de la nature a fondée parmi les hommes, pour assurer la conservation, le bien être, la multiplication de
notre espèce. Tels sont les heureux fruits du Commerce proprement dit, c’est-à-dire, de l’échange des travaux & des propriétés, qui constitue le mouvement & la vie des sociétés civilisées.
Laissons aux déclamateurs oisifs les éloges de la vie sauvage, & la noble émulation d’imiter les bêtes féroces errantes dans les forêts. Nous aimons à croire que l'homme est le fruit de la société qui précéda sa naissance, qui conserva ses jours, qui développa ses facultés, qui lui procura ses premières propriétés.
Pòuvons-nous jamais oublier un triple amour, une triple alliance qui nous donnèrent le jour, qui gouvernèrent notre longue enfance ? Des époux, un père, une mère, des frères & des sœurs, société de famille, source de notre existence même & de tous les biens dont elle peut être accompagnée ; pourquoi la triste philosophie de quelques publicistes atrabilaires, anciens ou modernes, voudroit-elle détourner nos regards de ces objets si consolants, où nous sommes sans cesse rappellés par les sentimens les plus doux de la nature ?
Semblables à l'auteur fabuleux de Robinson, les calomniateurs de l’humanité ne sçauront-ils jamais donner à Crusoë dans
