qu’il semble avoir été destiné par la nature elle-même, qui ne lui avoit pas prodigué le génie de l’invention. Le caractère calme & patient de Mignard, devoit le porter vers des ouvrages qui n’exigent pas de grands frais d’imagination, & qui tirent leur mérite de l’imitation précise de la nature & de la beauté du pinceau.
Si dans les grandes compositions, Mignard n’étonne pas par la chaleur, la fougue, l’en thousiasme, il fait du matins estimer l’homme d’esprit, le peintre agréable, le dessinateur exact. Sa coupole du Val-de-Grace, ouvrage à fresque qui renferme plus de deux cens figures, a été célébrée d’abord avec excés, & ensuite traitée avec trop d’indifférence. Il paroit certain que cette grande machine étoit bien plus vigoureuse de couleur qu’elle ne l’est aujourd’hui, & que les pastels avec lesquels elle avoit été retouchée à sec, sont tombés en poussière. Un amateur a fortement reproché à Mignard d’avoir employé ces retouches ; elles sont cependant familières aux peintres à fresque Italiens. Les ouvrages du même artiste à Saint-Cloud sont très-bien conservés & rendent témoignage à son talent. L’ordonnance en est riche, & en même temps agréable, les pensées nobles, les carnations brillantes, les couleurs d’une belle fonte de pinceau, le tout ensemble harmonieux : on ne peut s’empêcher de convenir, en voyant cette machine, que si Mignard ne fut pas un poëte inspiré, il fut du moins un très-habile peintre, & qu’il tient un rang distingué entre les meilleurs artistes dont l’école Françoise peut s’honorer.
Tant que Mignard fut soutenu par la protection de Louis XIV, la faveur des princes, l’empressement de la cour ; tant qu’il eut pour amis & pour défenseurs Boileau, Racine, Molière, la Fontaine, Chapelle, & tout ce que la France avoit de plus illustre dans les lettres ; tant qu’il fut à la tête des arts par la place de premier peintre du roi qui lui fut donnée après la mort de Lebrun, on crut ne le pouvoir assez louer ; après sa mort, il fut poursuivi par la vengeance d’un corps qui avoit à se plaindre de lui : ce corps est l’Académie Royale de peinture nouvellement fondée lors de son retour en France, & à la tête de laquelle Lebrun tenoit despotiquement le sceptre des arts. Mignard refusa de fléchir devant le despote ; il se fit recevoir à l’Académie de S. Luc, relevée par l’éclat de tous les noms qui s’étoient distingués dans les arts, tandis que la nouvelle Académie étoit dégradée, à l’instant de sa naissance, par une foule d’artistes obscurs qu’on avoit été obligé d’y recevoir pour la completter & lui donner la consistance d’un corps. Il eut pour lui tous ceux
qui s’élèvent contre toute nouveauté, c’est-à-dire, le plus grand nombre : il fut applaudi par tous ceux que Lebrun humilioit ; mais après sa mort, sa mémoire fut attaquée par tous ceux qui prenoient l’esprit du corps en entrant à l’Académie Royale : on affecta de le traiter avec dédain, & de louer des hommes qui lui étoient fort inférieurs, mais qui avoient l’avantage d’appartenir au corps privilégi. Il est bien peu d’hommes qui ne disent : nul n’aura de talens hors nous & nos amis. Cependant, s’il est dans l’école Françoise, depuis sa naissance jusqu’à ces derniers temps, une place honorable après celles de Poussin, Blanchard ([1]), le Brun, le Sueur, Bourdon, la Fosse & Jouvenet, on ne peut guère la refuser à Mignard. Mais il faut convenir aussi qu’il ne reprendra jamais le rang que son esprit, ses manières nobles, la faveur des grands, l’attachement de ses amis, son adresse, lui avoient procuré pendant sa vie.
Il faut observer que Mignard avoit près de cinquante ans quand il revint en France, & que la plupart des ouvrages d’après lesquels on affecte de le juger, sont des fruits de sa vieillesse ; car il ne quitta les pinceaux qu’en cessant de vivre, & il ne termina sa carrière qu’en 1695, âgé de quatre-vingt-cinq ans. Quand il n’auroit fait que des portraits, il mériteroit un nom distingué dans les arts : mais il se produisit avec honneur dans toutes les parties de la peinture.
On a beaucoup gravé d’après Mignard : il suffira de citer ici le portrait de la marquise de Feuquière, sa fille, gravé par Daullé ; & la communion administrée par St. Charles, par Poilly.
(151) Jean Guillaume Bauer, de l’école Allemande. Il étoit de Strasbourg, & sa naissance est placée en l’année 1610, quoique M. Descamps, peut-être avec raison, le fasse naître en 1600. Il fut élève d’un peintre à Gouazze, adopta ce genre de peinture, & vit bientôt ses tableaux recherchés. La réputation dont il jouissoit lui inspira le desir de l’augmenter encore, en perfectionnant ses talens, & il fit le voyage d’Italie. Il s’arrêta à Rome, & fuyant l’exemple des jeunes artistes étrangers qui regardoient leur séjour en cette ville comme un temps consacré au plaisir, il résolut de ne voir personne, & de ne vivre qu’avec les artistes qui n’étoient plus. Il étudia les ruines antiques, il dessina & peignit les places de la Rome moderne. Il ne put cependant resister au plaisir de montrer un de ses tableaux qui représentoit un triom-
- ↑ (1) On fait ici mention de Blanchard, parce qu'il fut coloriste, car d'ailleurs il n'est pas l'égal de Mignard.