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& ne voulut attacher ni l’un ni l’autre à la profession des armes : il destina l’aîné, nommé Nicolas, à la peinture, & le cadet, nommé Pierre, à la médecine. Mais il fut surpris de voir que, dès l’âge de onze ans, ce cadet, sans avoir eu de maître, dessinoit des portraits ressemblans, & représenta l’année suivante toute la famille du médecin dont il prenoit des leçons ; il ne crut pas devoir résister a des dispositions si marquées, & consentit que ses deux fils suivissent la même carrière. Pierre acquit une réputation bien supérieure à celle de son aîné ; mais cet aîné fut lui-même un artiste estimable, & nous ne devons pas garder sur lui le silence dans un article où nous sommes obligés de comprendre des artistes qui lui furent inférieurs.

Nicolas Mignard, né en 1668, reçut les premières leçons d’un peintre qui se trouvoit à Troies ; mais il alla bientôt à Fontainebleau étudier les ouvrages des peintres que François I avoit appellés de l’Italie en cette ville, & recevoir les leçons de ceux qui leur avoient succédé. Il ne tarda pas à reconnoître que l’Italie étoit le vrai centre de l’art, que le foyer de leur lumière partoit de cette contrée, & que la France n’en recevoit encore que de foibles rayons ; il entreprit le voyage de Rome, & y passa deux années. De retour en France, il s’établit à Avignon, où il étoit rappellé par l’amour : il y épousa celle dont il ne s’étoit séparé qu’avec peine, & le long sejour qu’il fit dans cette ville l’a fait surnommer Mignard d’Avignon. Il fut appellé à Paris à la recommandation du cardinal Mazarin, fit à la cour un grand nombre de portraits, & décora de ses peintures le château des Tuileries. Il avoit dans l’imagination plus de sagesse que de chaleur, & étoit plus propre à l’expression des sujets agréables qu’à celle des passions violentes. Ses intentions étoient ingénieuses, son pinceau flateur, ses airs de tête capables de plaire, ses attitudes gracieuses, son dessin correct. Il est mort à Paris en 1668, âgé de soixante ans.

Pierre Mignard, dit le Romain, né en 1670, ayant marqué son inclination pour la peinture, & obtenu de son père la permission d’abandonner la médecine pour le pinceau, fut envoyé à Bourges, où un peintre nommé Boucher avoit alors de la réputation ; il passa ensuite dans l’école du Vouet. Cet artiste lui offrit sa fille, mais le jeune Mignard eut le bon esprit de préférer à cet établissement avantageux la perfection de son art. Il sentit qu’il ne pouvoit la trouver qu’en Italie, & se rendit à Rome, où il passa vingt-deux ans entiers.

Il y retrouva Dufresnoy, compagnon de ses études dans l’école du Vouet, & se lia pour toujours de la plus tendre amitié avec cet ar-


tiste poëte, qui préféra la gloire de chanter l’art à celle de l’exercer. Mignard tenoit les crayons & les pinceaux : Dufresnoy lui faisoit remarquer les principes & les beautés des grands maîtres, & lui faisoit connoître dans les ouvrages des poëtes de la Grèce, de l’ancienne Rome & de l’Italie moderne, les passages les plus capables d’échauffer l’imagination pittoresque. Ces jeunes artistes vivoient en communauté d’études & de fortune, obligés de se contenter du plus étroit nécessaire. Le talent peu commun que Mignard montra pour le genre du portrait, ne tarda pas à lui procurer plus d’aisance. Il peignit tous les papes qui occupèrent le saint-siège pendant son séjour à Rome. Il se fit une réputation particulière pour peindre les vierges ; il leur donnoit de la grace, de la douceur, de la beauté, & les Italiens eux-mêmes les comparèrent à celles d’Annibal Carrache. On convient qu’il en a fait qui ne seroient pas indignes de ce maître. On les appella les Mignardes, & ce mot étoit alors un éloge : il a été conservé par l’envie, mais dans le sens de la désaprobation.

Mignard ne négligeoit pas cependant les occasions de se livrer à de plus grandes compositions. Il s’en offrit une qu’il espéra de pouvoir faisir ; celle de peindre le tableau du maître-autel dans l’église de Saint-Charles de’Catenari. Il fit son esquisse qui représentoit Saint-Charles administrant la communion à des mourans. Cette esquisse étoit un tableau terminé : tous les connoisseurs applaudirent, & cependant Mignard eut la douleur de se voir préférer Piérre de Cortone. Les talens, la réputation de ce rival purent le consoler : il l’auroit été encore mieux, s’il avoit prévu la justice que la postérité a rendue à sa composition : le tableau est perdu, ou du moins on ignore en quelles mains il est passé ; mais on admire l’estampe que F. de Poilly a gravée d’après ce bel ouvrage, qui est regardé comme le chef d’œuvre de Mignard. Il obtint d’autres entreprises capitales, entre lesquelles on parle des ouvrages dont il fut chargé pour l’église de Saint-Charles aux quatre fontaines. On y admire, dans le tableau du maître-autel, le grand caractère d’une figure de Saint-Charles, ainsi qu’une annonciation peinte à fresque sur le mur, que l’on prendroit, dit-on, pour l’ouvrage d’un habile élève d’Annibal Carrache.

Il fut rappellé en France par ordre du roi, & fit le portrait de ce Prince. Il a fait plus de cent-trente portraits de princes, de courtisans, de personnes en place. On veut que l’intérêt & l’ambition l’aient détourné de l’histoire pour le ramener si souvent à un genre inférieur : on oublie que c’est par ce genre qu’il a commencé à faire connoître son penchant vers la peinture, & que c’est à ce genre