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Lorrain s’étoit proposé de dévenir peintre d’histoire, ou même de bambochade ou de portrait, il est presque certain qu’il eût vainement lutté contre son défaut de dispositions, puisqu’il ne put jamais parvenir à dessiner passablement la figure, quoiqu’il en fit des études constantes à l’académie ; mais il sut se borner au paysage, & devint le premier des paysagistes.

Aucun d’eux n’a mieux représenté la vérité ; & cependant il ne peignit jamais d’après nature : il passoit des journées entières dans la campagne, observant d’un œil attentif les effets qu’y produit le soleil depuis son lever jusqu’à son coucher, ceux que font naître les vapeurs montantes ou descendantes, les pluies, les orages, le tonnerre. Tous ces phénomênes se gravoient profondément dans sa mémoire, & il les portoit au besoin sur la toile avec autant de précision que s’il les avoit eus sous les yeux. Il en étoit de même des sites ; il ne les copioit pas, il les créoit en quelque sorte, & joignoit, à la plus grande vérité, l’idéal qui convient à ce genre. Ses paysages ne sont pas le froid portrait d’un certaine partie de la campagne, tels que ceux de la plupart des peintres Flamands & Hollandois : mais en s’élevant au dessus de cette imitation servile, il donnoit des représentations fideles de la nature. Ses arbres, quand ils sont d’une grande proportion, sont distingués suivant leurs espèces : dans ses effets, l’heure du jour est exactement distinguée. Il est impossible de mieux rendre les dégradations des objets suivant leur distance, de mieux faire sentir l’épaisseur vaporeuse qui sépare le spectateur du lointain, de mieux représenter par des couleurs l’apparence de la vérité. Il n’a point de touches maniérées, & souvent même il couvroit & dissimuloit ses touches par des glacis, supérieur aux charlataneries de l’art & ne cherchant à se montrer que l’imitateur de la nature. Comme il devoit plus son talent à l’opiniâtreté du travail, à la justesse des observations, qu’à ses dispositions naturelles, il n’opéroit point avec facilité, & passoit souvent plusieurs jours à détruire & à refaire ce qu’il avoit commencé. Elève de la nature, il n’avoit pas d’autre instruction, n’avoit rien lu, & savoit à peine signer son nom. Mais il étoit profondément savant dans la partie de l’art qu’il professoit ; Sandrart rapporte que s’étant promené plusieurs fois dans la campagne avec le Lorrain, cet artiste lui faisoit observer, mieux que ne l’auroit fait un physicien, comment une même vue change d’effet & de couleur, suivant les divers instans où elle reçoit la lumière, & suivant qu’elle est humectée de la vapeur du soir, ou de la rosee du matin. Sa couleur est fraîche, ses têtes vraies ; les feuilles de ses arbres semblent, dit Sandrart, être agitées &


bruyantes. Il empruntoit ordinairement une main étrangère pour peindre les figures dont il vouloit orner ses paysages. Ce très habile artiste est mort à Rome en 1682, âgé de quatre-vingt-deux ans,

Le roi possede un assez grand nombre de tableaux de ce maître, entre lesquels on admire un port de mer avec un soleil couchant. Il a gravé lui-même plusieurs de ses ouvrages à l’eau-forte, & le clair-obscur n’est pas moins surprenant dans ses estampes que dans ses tableaux. Vivarès a gravé, d’après ce peintre, la vue d’une campagne d’Italie, le matin &c : Woollett un sacrifice antique.


(129) Jacques Blanchard, da l’école Françoise, né à Paris en 1600, reçut de son oncle, peintre obscur, le goût & les premières leçons de la peinture. Il passa en Italie à l’âge de vingt-cinq ans, & resta deux ans à Rome ; mais c’étoit à Venise qu’il devoit trouver l’aliment convenable à son génie. Au charme que lui firent éprouver les grands maîtres de cette école, il sentit que c’étoit principalement à la partie de la couleur qu’il étoit appellé par la nature, & elle devint le principal objet de son étude. Il en reçut la récompense, quand il vit les Vénitiens rechercher eux-mêmes ses tableaux.

La France, au retour de Blanchard, fut étonnée de voir un coloriste né dans son sein ; on le nomma le Titien François. Comme chacun desiroit avoir de ses tableaux, il n’eut pas le temps de faire beaucoup de grands ouvrages, & si l’on excepte ses deux tableaux de Notre-Dame, & deux galeries dont l’une ne subsiste plus & l’autre est celle de l’hôtel de Bullion, on ne connoît de lui que des tableaux de chevalet, dont le plus grand nombre représente des Vierges & des Saintes-Familles.

Il ne manquoit pas d’agrément dans ses têtes quoiqu’il les fît trop ressemblantes entre elles. Son dessin avoit de la pesanteur ; il suffit de dire que souvent il finissoit une figure en quelques heures, pour annoncer qu’il avoit peu de correction : mais ce qui manquoit à la pureté des formes, étoit en quelque sorte réparé par le beau coloris des chairs. Consumé par l’excessive vivacité du travail, il mourut à Paris à l’âge de trente-huit ans en 1638.

On voit de ce peintre deux tableaux à Notre-Dame ; l’un représente Saint André à genoux devant la croix, & l’autre la descente du Saint-Esprit.

Ce dernier tableau a été gravé par Regnesson. Cor. Bloemaert a gravé la chasteté de Joseph : P. Daret, Saint Jérôme en contemplation & la mort de Saint Sébastien.