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de sa main, dont deux étoient des tableaux d’histoire ; on fait enfin que le maître, loin de se montrer alors jaloux de son éléve, décora de ses tableaux les principales pièces de ses appartemens, & qu’il se plaisoit à les faire remarquer comme les plus beaux morceaux de sa collection.

Van-Dyck étudia les grands coloristes de Venise. Déjà digne lui-même d’être compté entre les grands maîtres, il ne dédaigna pas de copier des ouvrages du Titien & de Paul Véronese : il travailla à Rome & à Gênes, où il fut persécuté & déprisé par les peintres ses compatriotes, moins jaloux de son talent, qu’offensés de ce qu’il ne partageoit point leur vie crapuleuse. Il revint enfin dans sa patrie, où il se fit admirer par un tableau d’une grande composition, qui représente Saint Augustin en exstase. Les chanoines de Courtrai lui demanderent un tableau pour le maître autel de leur Collégiale. Il fit un Christ attaché sur une croix & choisit le moment où les bourreaux, après avoir cloué leur victime à cette instrument de supplice, l’élevent pour le planter en terre. Le chapitre accourut quand l’artiste apporta son ouvrage, & tous les chanoines prononcerent unanimement que la peinture étoit détestable, & le peintre un misérable barbouilleur. Ils se retirerent après avoir porté cet arrêt ; Van-Dyck, resté seul, fit placer son tableau & eut beaucoup de peine à en obtenir le payement. Cependant quelques amateurs, passant par Courtrai, virent le tableau avec admiration : leur récit attira les curieux des différentes villes de la Flandre, & les bons juges déciderent que c’étoit le chef-d’œuvre de Van-Dyck : leur jugement a été ratifié par la postérité. Les chanoines, obligés de soumettre leur opinion à celle des connoisseurs, demanderent au peintre deux autres tableaux ; mais il leur rendit justement l’injuste mépris qu’ils lui avoient témoigné.

Les désagrémens que lui causa la jalousie de ses rivaux, si l’on peut donner ce nom aux anciens compagnons de ses études qui tous furent ses inférieurs, ces désagrémens, dis-je, lui furent plus sensibles que le vain outrage des chanoines de Courtrai. On répandit qu’il ne savoit même pas manier la brosse ; la délicatesse de son exécution etoit donnée pour petitesse de manière, & la finesse de son pinceau pour mesquinerie. Fatigué de ces tracasseries, il abandonna des travaux commencés & se rendit à la Haie où il peignit le prince d’Orange, toute sa famille, les seigneurs de la cour, les ambassadeurs, les plus riches négocians, & même les étrangers qui faisoient exprès le voyage de la Haie pour avoir leur portrait de sa main. Il passa en Angleterre, où il fit quelques tableaux dignes de lui, mais


où il trouva peu d’occupation ; en France où il paroît qu’il fut à peine remarqué, & revint à Anvers où son premier ouvrage fut un crucifix pour les capucins de Dendermunde qu’on regarde comme un chef-d’œuvre. Il fit encore plusieurs tableaux d’histoire & passa une seconde fois en Angleterre où il étoit mandé par Charles I, prince ami des arts.

Alors seulement il abandonna tout-à-fait l’histoire pour le portrait. Ce ne furent donc pas les conseils de Rubens qui opérerent ce changement ; mais surchargé des portraits qu’on lui demandoit, il ne lui restoit pas de temps pour s’occuper d’autres ouvrages. Ce ne fut donc pas la jalousie de Rubens, mais les circonstances qui l’enleverent au genre de l’histoire. Il y renonça même si peu, qu’il fit un second voyage à Paris pour obtenir les peintures de la galerie du louvre ; mais il y trouva le Poussin qui étoit venu de Rome pour cette entreprise, & il retourna à Londres.

C’étoit le seul amour du genre qu’il préféroit, & non celui du gain, qui l’avoit attiré en France ; car il ne pouvoit nulle part gagner plus qu’en Angleterre. Cependant il ne put s’y enrichir. Il y tenoit table ouverte, avoit un nombreux domestique, ouvroit sa bourse à ses amis ou à ceux qui se donnoient pour tels, & augmentant ses dépenses en cherchant à les réparer, il donna dans les prestiges des alchymistes ; dupe de ces imposteurs, il vit s’évaporer dans les creusets l’or que lui procuroient ses ouvrages. Il épousa la fille du Lord Ruthven, comte de Gorée, d’une illustre maison d’Ecosse : mais son épouse ne lui apporta en dot qu’une haute naissance & de la beauté : Il mourut de phtisie en 1641 âgé de quarante-deux ans, & malgré l’excès de ses profusions, sa veuve recueillit une somme considérable des débris de la fortune.

On ne peut comprendre qu’un artiste qui est mort si jeune ait laissé un si grand nombre de tableaux. Accablé d’ouvrages en Angleterre, il se fit, dans les derniers temps, une manière expéditive & plus négligée. Il ébauchoit un portrait le matin, retenoit à sa table la personne qui se faisoit peindre & terminoit l’après dîné. Quant aux accessoires, il ne faisoit que les tracer aux crayons, chargeoit des peintres qu’il entretenoit de les avancer sur la toile, & les finissoit en quelques coups. On dit même que souvent, il se contentoit de dessiner les portraits sur papier de demi-teinte, aux crayons noir & blanc, les faisoit ébaucher, & les terminoit avec peu d’ouvrage. Ce ne sont point ces tableaux faits à la hâte qui lui ont mérité sa haute réputation.

Si l’on ne place pas Van-Dyck, considéré comme peintre d’histoire, au même rang que Rubens, on avoue qu’il l’a surpassé par la dé-