exécutés en tapisserie. C’étoit le roi d’Espagne qui les demandoit, & cette entreprise étoit fort avantageuse pour un jeune artiste. Mais comme la malignité se plaît à répandre son venin sur la bienfaisance, on a prétendu que Rubens, jaloux de Jordaens, lui avoit procuré ces grands travaux en détrempe, pour le perdre en paroissant l’obliger, & pour détruire en lui la bonne manière de colorer à l’huile. Sandrart a même écrit que Jordaens n’avoit plus eu qu’un coloris froid, depuis qu’il avoit peint ces cartons. Il ignoroit, sans doute, que ce peintre étoit encore fort jeune quand il les fit, & que les tableaux sur lesquels sa réputation est fondée, sont postérieurs à cette époque.
Jordaens ne vit jamais ses tableaux payés aussi cher que ceux de Rubens ; mais sa facilité lui procura une fortune assez considérable, & son caractère lui procura le bonheur. Il donnoit les journées entières au travail, & les soirées à sa famille & à ses amis, & la douceur de sa vie ne fut jamais troublée par des chagrins domestiques.
Il avoit une grande intelligence du clair-obscur, & il a égalé ou peut-être surpassé Rubens par la vigueur du coloris. Son expression étoit forte & vraie ; mais dans cette partie il manquoit de noblesse, ainsi que dans les formes. Ses têtes, non plus que les autres parties de ses figures, ne sont pas d’un beau choix ; mais elles vivent, mais elles expriment tout ce que le peintre a voulu leur faire dire. Ses attitudes ne sont pas majestueuses ; mais ce sont des mouvemens justes, & s’ils n’expriment que des actions basses, ils sont préférables du moins au froid mensonge des attitudes théatrales. Tout s’arrondit, tout se détache, tout respire dans ses tableaux. Il semble que ce ne soient pas des imitations ; on croit voir la nature elle-même.
On célèbre le tableau dans lequel il a représenté Frédéric-Henri de Nassau sur un char de triomphe traîné par quatre chevaux blancs. Le plus considérable de ses ouvrages est le tableau du maître autel de l’église de Saint-Walburge à Furnes ; il représente Jesus-Christ au milieu des docteurs : on l’a souvent attribué à Rubens, & ce ne seroit pas un de ses moins beaux ouvrages. Comme la noblesse a manqué seule à Jordaens, il seroit au-dessus de toute critique, s’il n’avoit pas peint l’histoire. On doit donc accorder des éloges sans mêlange à son satyre soufflant le froid & le chaud, & à son fameux tableau du Roi boit.
Ce très-grand peintre mourut dans la ville de sa naissance en 1678, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Le roi ne possède de ce maître que le très-grand tableau des vendeurs chassés du temple.
Si on le considère comme un tableau d’histoire, on trouvera que la figure du Christ est basse, que toutes les expressions sont indignes du sujet. Si l’on peut se prêter à le regarder comme un ouvrage comique, on admirera l’harmonie, l’effet, la composition, la couleur, le clair-obscur. On sera étonné de la largeur du pinceau, de la fierté, du moëlleux de la touche, de la prodigieuse vérité de l’expression, de la vivacité, de la justesse des attitudes & des mouvemens. Cet ouvrage n’est pas un bel exemple du genre de l’histoire, mais c’est une excellente leçon de l’art de peindre. Il seroit à souhaiter que les artistes pussent le revoir souvent, & cependant quand on l’a vu une fois, on ne peut jamais l’oublier.
Paul Pontius a gravé le Roi boit ; L. Vorsterman, le satyre soufflant le froid & le chaud ; P. de Jode, Mercure coupant la tête d’Argus ; Bolswert une Bacchanale ; Corn. Visscher un portement de croix.
(115) Nicolas Poussin, de l’école Françoise. Voyez ce qui a été dit de ce peintre à l’article Ecole. Un critique dont l’autorité est fort imposante, a dit qu’il ne falloit considérer les tableaux de ce peintre que comme des esquisses. On pourroit répondre que le fini en est raisonné comme toutes les autres parties. Le Poussin n’a guère fait que de petites figures, & il a cru ne devoir les terminer qu’autant qu’elles doivent l’être, vues à la distance où des figures de grandeur naturelle seroient réduites par la perspective à la proportion qu’il leur a donnée. Comme jamais artiste n’a plus réfléchi ses ouvrages, il faut toujours craindre de n’avoir pas fait soi-même assez de réflexion quand on le condamne.
Entre le grand nombre de tableaux du Poussin qui sont au cabinet du roi, on distingue les Philistins attaqués de la peste, la manne donnée aux Israëlites, l’enlévement des Sabines, ouvrages que l’on regarderoit, si les sujets permetroient de s’y méprendre, comme des productions de l’antiquité grecque. On admire avec horreur le déluge. La Notre Dame au pilier est remarquable, parce que les figures sont d’une grande proportion.
On voit au Palais Royal les excellens tableaux des sept Sacremens.
Pesne a beaucoup gravé d’après le Poussin ; on remarque surtout entre ses estampes celle du restament d’Eudamidas. Le Pyrrhus sauvé, le triomphe de Flore ont été gravés par G. Audran : le frappement du rocher, par Cl. Stella.
(116) Don Diego Vélasquez de Silva, de l’école Espagnole, naquit à Séville en 1594, Ses parens, issus d’une maison illustre du
Beaux-Arts. Tome II. I