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Il se pénétroit fortement des sentimens qu’il vouloit représenter. Seul dans son attelier, on l’entendoit rire, pleurer, se livrer à l’emportement. Annibal le surprit un jour, la colère dans les yeux, & faisant des gestes menaçans. Il s’apperçut bientôt que le peintre étoit occupé à représenter un soldat qui menace l’apôtre saint André. Aussi le Poussin disoit-il que, depuis Raphaël, il ne connoissoit pas de plus grand maître pour l’expression que le Dominiquin. Ce jugement doit l’emporter sur celui de Mengs, qui prétendoit que le Dominiquin n’avoit guère d’autre expression que celle d’une timidité naïve, & qu’il ne devoit servir de modèle que pour les figures d’enfans. Cet artiste, qui étoit un très-bon juge, & qui avoit de très-grand, principes, s’égaroit quelquefois par l’excessive sévérité de ces principes mêmes.

Le Dominiquin, austère comme Raphaël, est admirable pour la science & la pureté du dessin. Ses têtes sont belles, & joignent souvent la grace à la beauté ; telles sont celles du fameux tableau de sainte Cécile, & du tableau non moins fameux de sainte Agnès. Il avoit bien étudié la nature, & s’étoit fort attaché aux formes de l’antique. Il savoit le grouppe du Laocoon par cœur, & pouvoit le dessiner de mémoire ; on en dit autant d’Annibal Carrache. Souvent ses tableaux font peu d’effet, & sont exécutés avec secheresse ; mais on doit les étudier au crayon, & ils offrent un fond d’étude qui sera utile toute la vie. D’ailleurs, il n’avoit pas toujours ce défaut. Son tableau de la communion de saint Jérôme, estimé l’un des chefs-d’œuvre de l’Italie, présente un admirable moëleux de pinceau. Les têtes y sont peintes d’une grande manière, & cependant finies comme des portraits ; ce qui prouve que la grandeur & le large de la manière n’excluent pas le fini. On pourroit dire plutôt que les ouvrages vraiment beaux & généralement estimés, sont très-rendus. En général les compositions du Dominiquin sont sagement agencées : ses têtes sont belles & expressives, son dessin est simple & vrai, ses ajustemens ingénieux ; ses coëffures sont d’un choix agréable, ses draperies tantôt médiocres, & tantôt excellentes. Il étoit sujet à se montrer froid & sec dans le faire, & à manquer de rondeur : mais il n’avoit pas ces défauts dans la fresque ; peu de personnes ont aussi bien peint que lui dans ce genre. Quelquefois même, dans sa peinture à l’huile, comme, par exemple, dans son tableau de fainte Agnès, son pinceau est d’une grande netteté, & sa couleur de la plus grande vérité.

Le cabinet du roi renferme seize tableaux du Dominiquin. L’Adam & Eve chassés du Paradis terrestre, est d’une expression forte


& vraie. L’Enée sauvant son père Anchise, paroît être du temps où la manière du Dominiquin tenoit de celle de Louis Carrache. La composition est d’une grande sagesse, d’une fine intelligence ; elle tend toute entière & concourt à l’expression. On voit la crainte dans les yeux & dans les traits de Creüse, la douleur dans ceux d’Anchise, la piété filiale dans ceux d’Enée. Timoclée devant Alexandre est un tableau de petites figures & d’une grande composition ; mais toute cette composition concourt à l’expression du sujet ; toutes les figures ont le caractère qui leur convient. Tout l’ouvrage est conçu comme il auroit pu l’être dans les beaux siècles de l’art chez les Grecs. On sent qu’il est d’un homme qui ne prenoit le pinceau qu’après avoir profondément médité son sujet. Les Théatins de saint André della valle lui reprochoient un jour de ce qu’il n’avoit encore rien fait depuis plus d’un mois qu’il avoit entrepris de travailler pour eux : « J’ai beaucoup plus travaillé pour vous, leur répondit-il, que si vous m’aviez vu peindre. » Le tableau de Renaud & Armide appelle foiblement, & promet encore peu au premier coup-d’œil ; mais quand on l’a considéré, on le trouve digne du grand maître dont il est l’ouvrage, & plus un l’examine, plus on se sent pénétré de la douce volupté qu’il doit inspirer. Tous les accessoires contribuent à l’expression du sujet principal. Le concert, tableau d’une bonne couleur, prouve que le Dominiquin, un peu sec quelquefois, étoit capable de peindre d’un pinceau moëlleux.

Le martyre de sainte Agnès du Dominiquin a été grave par G. Audran : les deux tableaux de sainte Céeile par N. de Poilly : la communion de saint Jérôme, par César Testa. L’Enée & Anchise du cabinet du roi, par Gérard Audran ; les quatre ovales de l’église de Saint Sylvestre, par le même ; les pendentifs de S. Andre della valle, par Aquila.


(98) Jean Lanfranco, ou Lanfranc, de l’école Lombarde, né à Parme en 1581, fut d’abord page d’un seigneur qui, le voyant couvrir de dessins faits au charbon les murs de sa chambre, soupçonna qu’il pourroit bien avoir des dispositions heureuses pour la peinture, & le plaça lui-même chez Augustin Carrache, qui travailloit alors à Parme. Le jeune élève fit de rapides progrès, & aux leçons de son maître, il joignit l’étude des ouvrages du Corrége : mais s’il put apprendre de ce maître à concevoir ces grandes machines dont on décore les coupoles, la nature ne lui avoit pas permis d’en prendre les graces, qui sont le caractère particulier du Corrége. Lanfranc étoit plutôt né pour surprendre &