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artiste, dit-je, quelque talent qu’il ait d’ailleurs est un artiste foible. Nous convenons pourtant qu’on peut intéresser les gens de l’art par des beautés d’exécution. Ces parties peuvent faire réussir quelque tems un artiste ; mais ses succès seront passagers. En vain le Vouet, par l’aisance de ses compositions, la hardiesse de son pinceau & la témérité de ses teintes, si je puis m’exprimer ainsi ; en vain, dis-je ce peintre est parvenu, par ses partisans exaltés, à faire éloigner le Poussin de notre France, ce même Vouet n’est aujourd’hui connu que de quelques possesseurs de tableaux, au lieu que le nom du Poussin sert à indiquer tout ce qui se rencontre de grand & de sage dans un ouvrage de peinture.

La première pensée d’un tableau ou d’une statue doit avoir le vrai pour base. Si ce premier point n’est rempli, les détails les plus précieux ne pourront fixer l’admiration. Il ne suffit pas d’être copiste insipide pour imprimer à une composition le caractère du vrai ; il faut s’occuper de répondre, par une disposition poëtique, aux idées que les spectateurs ont dû se former des sujets ou des personnages qu’on a le désir de leur faire reconnoître. C’est moins pour satisfaire les hommes qui auront connu ses modèles, que pour les peindre aux siècles futurs, que l’artiste doit travailler : sa tâche est de transmettre à la postérité les vertus & les caractères de ses héros.

Or, ce n’est pas avec des vérités individuelles, & présentées sans chaleur & sans choix, que l’artiste remplira cette tâche noble & difficile. Ni le statuaire Dupré, ni le peintre de Marie de Médicis, Rubens, ne nous ont représenté Henri le Grand avec une stature petite & mesquine, telle que la nature l’avoit donnée à ce héros. Dans sa statue au milieu de cette capitale, & dans cette suite de tableaux enchanteurs que le public pouvoit admirer n’aguère dans la galerie du Luxembourg, la figure de Henri est noble, fière & d’un bel ensemble.

C’est avec raison qu’on a blamé Pigale d’avoir copié servilement la corpulence lourde & engorgée du Maréchal de Saxe. Une proportion bien découplée, des formes vigoureuses & ressenties, eussent peint à la postérité & l’ame de ce guerrier & le physique agile & robuste que l’histoire lui attribuera dans ses descriptions.

Si le vœu de ce citoyen raisonnable, qui demande que la statue de Voltaire soit érigée dans la place Dauphine, étoit mis à exécution, je ne voudrois pas que l’artiste nous le présentât sous la forme d’un vieillard desséché & d’une nature abjecte, ainsi que se montre la statue de Pigale. Je ne voudrois pas même que, courbé sous la charge pesante des années, il parût assis & drapé en philosophe


antique, ainsi que l’a rendu M. Houdon avec tant de finesse & de pureté. Non, il faudroit que simplement couvert de la tunique des poëtes antiques, saisi dans cet âge heureux où il enrichit notre scêne, de Mérope, d’Alzire & de Mahomet, on le montrât debout, l’air inspiré, tout occupé de la perfection de sa Henriade, fixant ses yeux enflammés sur la statue de son héros immortel. Son attitude élancée concourroit avec sa taille svelte à exprimer le mouvement & la légèreté précieuse dont il anima toutes ses productions. Enfin nos neveux, & nous même trouverions la statue de Voltaire en rapport avec cette abondance, cette subtilité d’esprit & ce sel inimitable, qu’il a su répandre dans ses ouvrages.

On voit donc qu’il ne suffit pas de copier indifféremment la nature. On voit qu’il faut la choisir avec sentiment, & que c’est au génie seul a nous donner le vrai.

Qu’on n’aille pas cependant croire que pour être vrai, on doive, dans tous les cas, être élégant & recherché ; un véritable artiste, c’est-à-dire celui qui n’est pas borné à l’exécution méchanique de son art, se transporte à toutes les scènes qu’il veut peindre : il est simple & pauvre dans la chaumière de Philemon & Baucis ; il est voluptueux dans les bosquets où il nous découvre le grouppe de Renaud & d’Armide ; il répand de la grace à Paphos, & de la sublime, & respectable beauté dans la grotte où Diane & ses nymphes se reposent d’une chasse fatigante. Enfin c’est en s’oubliant soi-même, c’est en faisant passer dans son âme le caractère propre de ses sujets que l’artiste peut nous montrer le vrai.

Une fois bien pénétré de ce besoin de peindre toujours à l’esprit, les vérités de détails viendront d’accord se placer dans son ouvrage. Il ne peindra pas les malheurs de Marseille sous un ciel brillant & serein : l’air, le feuillage des arbres, les habitations elles-mêmes, tout dans son tableau, prendra la teinte de cette vapeur empestée qui répand sur toutes les figures la douleur, l’horreur & la mort. Mais par qu’elle route parvient-on à commander, pour ainsi dire, à son art, & à le faire plier à ses volontés ? cette route est simple & malheureusement peu fréquentée. Les systêmes d’école, la manie de suivre ses maîtres en esclave, nous écartent des moyens de trouver & de rendre le vrai.

Ces moyens se bornent, comme nous l’avons dit à l’article instruction, à n’acquérir de science qu’avec son propre esprit, qu’avec ses propres yeux, à bien étudier l’antique, les organes & les couses des mouvements des êtres animés, enfin la nature dans toutes ses circonstances.

C’est par des vues solides sur le vrai & sur


Beaux-Arts. Tome II.

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