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ne se sont pas rendu compte à elles-mêmes de la manière dont elles voyent les objets.

Qu'elles posent une règle de dix-huit pouces sur leur table ; qu'elles élèvent perpendiculairement sur cette règle un pied de roi : quelles s'inclinent ensuite, de manière à ne voir que le bout de cette règle ; qu'elles se relèvent ensuite doucement ; elles verront cette règle dans l'étendue d'un demi-pouce, d'un pouce & demi, de deux pouces, &c. à mesure qu'elles se releveront. Elles auront donc, de cette manière, apperçu la règle dans différens raccourcis gradués.

Elles peuvent encore prier quelqu'un de tendre le bras devant elles, en le plaçant de côté, à peu-pès comme lorsque l'on fait des armes, ensorte que le poignet soit le plus voisin de leur œil. Ce bras ne leur cachera qu'une partie des côtes de celui qui le tiendra étendu, au lieu que s'il étoit baissé, & vu par cons?quent dans toute sa longueur, il doscendroit juslqu'à la moitié de la cuisse ; elles voyent donc ce bras en raccourci, c'est-à-dire, dans un espace beaucoup plus court que sa longueur réelle.

Un homme couché, si on ne le regarde pas de côté, mais de manière que ce soit la plante des pieds qui le présente la première à l'œil, est vu en raccourci. Ce n'est donc pas par convention, mais pour exprimer la vérité. que le peintre représente des objets en raccourci.

Il lui est même impossible de les éviter entiérement. Dans une tête vue de face, la largeur des oreilles s'apperçoit en raccourci. Dans une figure de bout, le pied qui se présente par la pointe au spectateur, est vu en raccourci. La perspective donne à l'artiste les moyens de bien rendre cette partie, qui porte entiérement sur cette science.

Les formes étant plus belles dans leurs développemens que dans leurs raccourcis, les peintres ne doivent se permettre que des raccourcis modérés dans les figures principales qu'ils veulent montrer dans toute leur beauté : ils n'admettront alors que ceux qui sont inévitables. Ils pourront être moins reservés à cet égard dans les figures subordonnées. Le genre austère est moins ennemi des raccourcis que le genre agréable. Mais dans aucun genre, il ne faut imiter les artistes qui cherchent à prodiguer les raccourcis, pour montrer leur science. Les efforts de la science ne sont appréciés que par les savans ; les ouvrages de l'art doivent satisfaire les savans & plaire à tout le monde.

On remarque que généralement les peintures de plafond procurent peu de plaisir aux personnes qui ne sont pas initiées dans la science de l'art, parce que ce genre exige les plus savans raccourcis. Les figures qui plaisent le


plus, dans ces sortes d'ouvrages, sont celles qui voient transversalement, parce qu'elles sont plus développées. Il n'est point au-dessous de l'artiste de consulter les sensations des personnes qui n'ont que le goût naturel ; elles forment le grand nombre de ses juges. (L.)

RAGOUT (subst. masc.) Il est, comme je l'ai dit à l'article Croquis, des mots dans le langage de la peinture, qui, nés dans les atteliers, sont adoptés par les artistes, & par ceux qui parlent de l'art, & qui lui deviennent plus ou moins généralement consacrés. Plusieurs de ces mots ont été créés par une sorte d'inspiration qui a dû tenir du caractère, de l'éducation, des manières de parler propres à ceux qui les ont mis en vogue. Ces expressions, par conséquent, doivent être plus ou moins choisies, plus ou moins communes, quelquefois même familières ou basses.

Le mot ragoût peut être regardé comme de cette dernière classe. Il signifie quelque chose de piquant. On voit par-là que le sens figuré a un rapport très juste avec le sens propre.

On dit donc, mais plus particuliérement dans les atteliers, il y a du ragoût dans ce tableau, dans ce dessin, dans la couleur de ce peintre, & l'on veut faire entendre par-là qu'on y trouve un agrément qui pique, qui réveille l'attention & plaît à la vue.

On dit aussi, & cette manière de parler semble blesser moins la délicatesse, cette tête est ragoutante, ce petit tableau est ragoutant, & dans le langage commun, le peuple dit encore, un minois rajoutant, expression du style familier, mais qui, à l'aide d'un souris de plaisanterie ou d'un air de gaîté, trouve quelquefois grace auprès de ceux qui parlent un langage plus soutenu. (Article de M, Watelet.)

RAGOUTANT (adj.) Ce mot s'applique toujours à l'exécution : c'est une qualité de la main. On dit un pinceau, un crayon ragoutant, une pointe ragoutante. On peut aussi modeler avec ragoût. Le ragoût est une sorte de badinage ; il témoigne la facilité de l'artiste qui est capable de se jouer avec l'outil, de badiner avec les plus grandes difficultés du métier. Il a toujours une sorte de mollette qui peut être heureuse dans certains genres, mais qui est sort déplacée dans tous ceux qui supposent de la grandeur, & qui ont besoin de fermeté. Ce qui a, dans la nature, une apparence de mollesse, peut se prêter au ragoût. Cette partie de la manœuvre ne doit pas être méprisée, mais il ne faut l'estimer que ce qu'elle vaut. Rapha?l ne se doutoit pas que l'on peindroit un jour avec ragoût, & il n'en est pas moins estimable : les Carraches ont peint quelquefois avec ragoût, &