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a été à Rome, qu’il y a étudié les ouvrages de Raphaël & encore plus ceux de Michel-Ange, qu’il a dû à cette étude la rapidité avec laquelle il s’est rendu supérieur à ses maîtres & a fait succéder son second style à celui qu’il avoit emprunté d’eux. Il s’objecte à lui-même qu’on ignore si jamais le Corrége a fait ce voyage : & il répond que cette ignorance n’a rien d’extraordinaire ; qu’on voit tous les jours des personnes dont la conduite n’est connue que du moment où commence leur réputation, & que l’on ne cherche à connoître à Rome que les maîtres qui y professent leur art, sans s’inquiéter des étrangers qui n’y arrivent que pour étudier ; qu’il n’y a donc pas lieu d’être étonné que le Correge y ait été inconnu, & qu’il ne soit resté aucune trace de son séjour.

« A la Cathédrale de Parme, dit M. Cochin, on voit la fameuse coupole du Corregio représentant l’Assomption de la Vierge : la chaleur de l’imagination, & la hardiesse des raccourcis y sont portés au plus haut point. Il y a de grandes incorrections de dessin : mais il est de la manière la plus large & la plus grande. Il est extrêmement gâté : la couleur des chairs est trop rouge. » « On voit dans une chambre appartenante à cette même Eglise un tableau du Corregio fort connu, qui est un des plus beaux qui soient sortis de la main de ce maître. Il représente la Vierge & l’Enfant Jesus, la Magdeleine lui baisant les pieds, & Saint Jérôme de bout. Ce tableau est d’une grande beauté pour la couleur ; la tête de la Magdeleine est un chef-d’œuvre pour la fraîcheur & la beauté des tons. Les têtes & les parties sont dessinées avec des graces inexprimables, quoique quelquefois d’un dessin peu correct. Le pinceau en est large & nourri de couleur ; lefaire est de la plus grande facilité, & les choses les plus délicates s’y trouvent rendues comme par hasárd. La tête de la Vierge est belle ; elle a cependant des ombres un peu noires. Le petit Jesus est plein de graces, quoique peu noble. En général, ce tableau est un des plus beaux & des plus estimés qu’il y ait en Italie, & la tête de la Magdeleine est le chef-d’œuvre du Corrégio par la couleur & le pinceau. »

« Ce qui à Parme, dit le même artiste, est le plus digne de l’attention des amateurs & des articles ; est, sans doute, le nombre d’ouvrages du Corregio qu’on y voit encore. Ce peintre sera toujours merveilleux lorsqu’on considérera que cette grandeur de manière, & le point de perfection où il a porté le coloris, ne lui ont point été enseignés & qu’il en est proprement l’inventeur. ([1]) La


nature seule l’a guidé, & sa belle imagination a su y découvrir ce qu’elle a de plus séducteur. Ses ouvrages sont souvent remplis des plus grossière incorrections ; & cependant on ne peut résister à leur attrait ; tant il est vrai, quoique bien des auteurs aient voulu en écrire, que les graces de la nature, considérées du côté de la couleur, soutenues d’un pinceau large & d’un beau faire, équivalent à ce que peut produire de plus beau la correction d’un dessin châtié qui souvent les exclut. Le Corregio, malgré ses défauts, sera toujours mis, par cette seule partie, en parallèle avec Raphaël & avec les plus grands maîtres qu’il y ait eu. ([2]) Il est vrai cependant que ce n’est que par ses plus beaux ouvrages. Si l’on fait réfléxion que cet admirable peintre n’a eu pour maître que la seule nature, on n’a point à se refuser de penser que seule elle peut montrer à chacun la véritable route qu’il lui convient de suivre, & qu’on perd trop de temps à chercher celle des autres. Personne n’a traité les raccourcis des plafonds avec plus de hardiesse. Il est vrai qu’il y a quelques figures où il est excessif & de mauvais choix ; mais c’est en petit nombre, & les autres sont de la plus grande beauté. En général, il aimoit à faire, dans les plafonds, les figures collossaes. Il seroit difficile de donner de bonnes raisons pour établir que les figures dussent paroître plus grandes que le naturel, surtout dans un morceau où, s’assujettissant aux raccourcis, on paroît prétendre à faire illusion. Plusieurs peintres l’ont suivi en cela, sans peut-être avoir d’autre raison, sinon que le Corregio l’avoir fait. Mais supposé que cela fasse bien au plafond de la Cathédrale, ce que l’on pourroit nier, on ne peut se dissimuler le mauvais effet que cela fait au plafond de l’église de Saint Jean, dont la coupole, quoiqu’assez grande, paroît néanmoins fort petite, à cause des collosses monstrueux qui y sont, & qui ne laissent de place que pour un très-petit nombre de

  1. (1) Quoique M. Mengs ait rendu probable le voyage du Correge à Rome, il n’a pu le prouver. D’ailleurs on pourroit admettre ce voyage, & s’exprimer comme M. Cochin : il est certain que ce n’est point à Rome que le Correge a trouvé le modèle de son coloris & de sa manière large, nourrie & moëlleuse. Il est l’inventeur des qualités qui le caractérisent & le distinguent de tous les autres peintres.
  2. (1) On compte généralement le Correge au nombre des plus grands maîtres &c avec raison, parce qu’il a excellé dans des parties capitales. Généralement aussi, on met au-dessus de lui Raphaël, parce que Raphaël a excellé dans un nombre encore plus grand de parties, qui sont les parties supérieures de l’art. Il a été, suivant le jugement d’Annibal Carrache, le maître qui a eu les plus grandes qualités & les moindres défauts. Le Correge a eu de grands défauts, & des qualités aimables.