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catesse qui les rende propres à charmer, nous devons rassembler tant de qualités ! O hommes, ô artistes vous-mêmes, ne perdra jamais de vue que leur réunion complette ne peut se rencontrer dans le même individu. Ainsi, ne blâmez pas si aigrement les défauts sans nombre des meilleures productions des arts ; & ne vous découragez pas, parce que vous sentez une impossibilité physique d’atteindre a la perfection.

Une imagination ardente, avec le jugement le plus exquis ; une mémoire sûre & presente, avec la crainte continuelle de se former d’après le sentiment particulier des autres artistes ; une grande adresse de main, avec la defiance d’opérer plus par elle que par ses yeux & par son ame : telles sont les premières qualités, pour ainsi dire incompatibles, que l’artiste, pour être parfait, devroit pourtant rassembler.

La plus heureuse facilité pour inventer, peut ne produire rien de vrai, rien de solide, si la plus saine raison ne dispose, n’arrange, n’exécute. D’un autre côté, la méthode & l’ordre les plus exacts, l’imitation la plus précise des individus, peuvent ne montrer que des ouvrages insipides, si le génie ne les a pas d’abord enfantés.

……………Invente, tu vivras ([1])

Il est une qualité distincte du jugement & de l’imagination : c’est la sensibilité de l’ame. Elle seule fait parler les figures ; elle seule décèle les passions que l’artiste a voulu exprimer, & en porte l’effet dans l’ame du spectateur. O le Sueur, Raphaël, Zampieri, Puget, vous étiez nés avec cette sensibilité précieuse : & n’eussiez-vous possédé ni raisonnement, ni invention, je crois, quand je vois vos ouvrages, que vous eussiez produit des chefs d’œuvre par cet art adorable de faire palier involontairement votre ame sur la toile ou sur le marbre !

Lorsqu’à une imagination fertile, il se joint un caractère nerveux, noble & fier ; lorsqu’avec un sentiment vif & perçant, qui pénétre l’ame des objets les plus sublimes, & de leurs aspects les plus éclatons, on posséde encore le courage propre au travail le plus persévérant ; alors, c’est un aigle qui voit, s’élance & atteint toutes les distances. Tels furent les dons qu’a rassemblés le divin Michel-Ange. Mais ce feu dévorant qui l’animoit & le portoit hors de lui, étoir rarement tempéré par la sage réflexion avec laquelle on calcule la précision des formes, des caractères, des couleurs, des effets, & par laquelle on peut jouir


à longs traits des passions qui se lisent sous les formes de tous les êtres qui respirent.

Cet esprit d’examen propre à détailler la force, la beauté, la grandeur, après avoir établi ce qui doit former un scrupuleux ensemble ; cet esprit, dis-je, est surtout de l’essence de la sculpture : parce que cette maitresse des beaux arts doit tout voir, tout cat. culer, tout montrer, & qu’elle n’a point d’Illusion à produire. La Flore, l’Hercule, l’Antinoüs ne sont pas des ouvrages de feu & d’imagination ; ce sont des chefs — d’œuvre de raison, de science, de goût & de sentiment. Le Gladiateur, le Laocoon, l’Apollon sont des productions du génie ; c’est à-dire de l’alliance du talent d’inventer, & de celui de rendre. La famille de Darius de le Brun, les meilleures productions du Poussin, & presque toutes celles de Raphael offrent cette réunion.

Quelqu’éloigné que l’art soit de la perfection, nous. avons dit qu’il n’étoit encore parvenu au degré qui est connu, que par l’assemblage des découvertes accumulées ; de siècle en siècle. Aussi les grands artistes qui ont paru à la renaissance des arts, n’ont pu obtenir aussi promptement le haut dégré qu’ils ont atteint après deux générations, que par les lumières rapides que leur ont données les statues des Grecs & des Romains.

Mais ces artistes les ont étudiées de telle sorte, que sans en être les copistes serviles, ils y ont puise les principes du beau, pour l’adapter ensuite au caractère de génie, & aux diverses qualités que la nature leur avoit départies. Et nous avons dit que c’étoit ainsi qu’un artiste devoit user de sa mémoire & des exemples de ses maîtres & de ses prédécesseurs, les oubliant en quelque sorte toutes les fois qu’il inventoit & qu’il copioit le naturel. Nous ne devons, en effet, rien attendre de neuf & de pénétrant de celui qui n’opére pas avec un sentiment qui lui est propre, & qui se traîne toujours sur les traces d’un guide pour marcher dans la route des beaux-arts.

En recommandant aux artistes de ne jamais contrarier leurs qualités personnelles, qu’on n’en infére pas qu’ils doivent s’éloigner toujours du goût des statues antiques, comme l’ont fait plusieurs artistes Flamans, Hollandois, François & Vénitiens. Nous pensons, au contraire, que le peintre d’histoire, & surtout le statuaire, ne peuvent mériter des couronnes, qu’autant qu’ils auront réuni tous leurs efforts pour ne rien faire qui s’éloigne des principes de ces maîtres de la régle ; récompense que s’attribue si fiérement, par rapport à l’étude d’-Homère, l’Ion de Platon. « Je me flatte, dit-il, que ceux qui ont bien étudié Homère, ne peuvent, sans ; injustice me refuser une couronne d’or. »

  1. Le Mierre, poëm. La peinture