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feroient ne seroit jamais balancé par le plaisir de tromper un homme avec qui ils auroient fait un marché, quelque sujet de haine qu’ils pussent avoir contre lui.

Il arrive au contraire très-fréquemment, que le desir d’exercer leurs arts & de montrer leur sçavoir, détermine les gens à talens à contracter des engagemens à des conditions inférieures aux ouvrages qu’ils entreprennent. Et je puis assurer qu’ayant été nommé plusieurs fois arbitre pour des contestations concernant les arts, soit par le Tribunal des Consuls de Paris, soit dans les autres tribunaux, j’ai toujours trouvé qu’en examinant l’ouvrage avec rigueur, il étoit au-dessus du prix qu’on s’étoit obligé d’en donner.

Il est une autre espèce de difficulté à laquelle peut donner lieu 1°. L’obligation que les Jurisconsultes appellent personnelle. 2°. Celle qui n’est pas personnelle, & peut se remplir comme ils disent per æquipollens, c’est-à-dire, paréquivalent.

Pour résoudre les questions auxquelles ces conventions peuvent donner lieu, nous allons entrer dans quelques détails intéressans & très particuliers aux beaux-arts.

Quand l’ouvrage est bon, l’obligation personnelle, prise dans le sens le plus stricte, ne peut guère faire naître de difficultés que de la part de personnes mal-intentionnées, ou très ignorantes.

Apportons d’abord en exemple la convention de payer une figure, un tableau, ou une planche, tel prix, sous la condition qu’ils seront de tel ou tel sculpteur, peintre ou graveur. L’ouvrage fait, celui qui l’a demandé refuse le payement à l’artiste, « parce que, dit-il, j’ai appris qu’il a employé ses ouvriers, ses élèves ou ses amis, & que par conséquent l’ouvrage n’est pas entièrement de celui de qui je le voulois. »

Pour parvenir à répondre à ce refus, il faut dire 1°, à l’égard du sculpteur, qu’il doit faire son modèle seul pour que ce soit réellement son ouvrage ; mais que, pour ménager un tems précieux, il se fait aider par des ouvriers compagnons sculpteurs qui dégrossissent la pierre, le marbre, ou d’autres matières qui doivent servir à l’exécution de son ouvrage. Ensuite il employe des artistes habiles qu’il charge de préparer la figure, en suivant attentivement les divers degres, de manière qu’il n’a plus que les finesses & les touches de maître à donner pour égaler & souvent même surpasser le modèle qu’il en a fait. Si, dans la figure, il y a des parties d’un genre particulier, telles que des fleurs, des dentelles & autres accessoires sur lesquels sa pratique ne s’étende pas, le statuaire employe souvent le secours


d’une main qui y est plus exercée que la sienne.

Le peintre fait souvent ébaucher & préparer ses tableaux par ses élèves d’après ses études, surtout dans les grandes entreprises, & fait faire par des artistes intelligens dans les accessoires, ceux qui entrent dans ses tableaux & qu’il ne sait pas aussi bien rendre qu’eux. C’est ainsi que le Brun, employoit Vander-Meulen pour peindre des chevaux, Baptiste pour les plantes & les fleurs, & Patel pour le paysage de ses grands tableaux.

Quant au graveur, lorsqu’il s’est assuré du trait de sa planche, qu’il en a préparé certains travaux, il est très-ordinaire qu’il employe des mains étrangères pour avancer son ouvrage.

De cet exposé, il suit que le maître disposant le plan & l’exécution de l’ouvrage, se confiant d’aillèurs à des personnes éclairées qui savent entrer dans ses vues & qu’il conduit toujours, il n’en est pas moins l’auteur, quoiqu’il le soit fait aider.

Il nous a paru que sur le cas dont il s’agit, Pothier peut-être prononcé a d’une manière trop générale, en disant, dans son traité des obligations, tom. 1, partie II, « que quand on a contracté de donner une certaine somme, si un peintre célèbre faisoit un certain tableau ; c’étoit un fait personnel qui faisoit l’objet de cette condition, & qu’elle ne pouvoit être accomplie que par le peintre lui-même. »

Nous ne pensons pas que la décision de ce point doive être réduite d’une manière si abstraite, & nous disons qu’un artiste a suffisamment accompli la condition si l’on reconnoît son gout & son génie dans l’invention & l’exécution de l’ouvrage, surtout si les parties les plus essentielles sont de sa main. La preuve de la nécessité de l’exception se manifeste dans les suites d’ouvrages les plus célèbres : tels sont ceux de le Brun dont nous avons déja parlé, & qu’on voit à Versailles ou à Paris, par exemple, les batailles d’Alexandre ; tels sont ceux que Rubens a peints au Luxembourg ; tels enfin ceux que Raphaël Sanzio a faits au Vatican. Il en est de même des ouvrages des statuaires & de ceux des graveurs dont nous venons de rapporter les procédés les plus ordinaires.

Il suffit donc que l’artiste soit reconnu, que l’ouvrage paroisse émané de lui, que son esprit ait présidé à tout, pour qu’il ait accompli la condition du fait personnel.

D’un autre côté, si son gout d’exécution ne se lit nulle part, si l’invention ne semble à aucun juge en l’art venir de lui, alors on pourra prononcer que l’ouvrage n’est pas acceptable ; parce que la condition spéciale du