Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T02.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220 PRO PRO


& du goût du public il n’y a pas de points d’excellence determinés. Ainsi on peut bien dire à un menuisier ; je veux une armoire ou une croisée de telle ou telle sorte ; on peut même dire à un mécanicien, je veux une machine qui porte tels poids, & refuser à l’ouvrier & à l’artiste en mécanique leur payement, si l’un ou l’autre n’a pas rempli le but pour lequel il avoit été employé, parce qu’il auroit dû le faire l’ayant entrepris. Mais un homme ne peut pas refuser de payer un livre, un mémoire, un sermon, un tableau, une statue s’il l’a fait faire, par ce motif que ces ouvrages n’auront pas réussi dans le public. La raison en est que le succès des ouvrages de ce genre est absolument indépendant des efforts & même de talens des personnes qui s’en occupent. Nous croyons que ceci n’a pas besoin d’être prouvé plus au long : on sent de reste qu’il n’y auroit ni sermons, ni tragédies, ni tableaux qui manquassent de succès, s’il dépendoit même des hommes les plus célèbres de plaire constamment au public.

Pour ce qui regarde le public, il faut avouer, sans prétendre justifier tous les défauts duccès, que son gout est variable, sujet à la prévention, à l’erreur, à la mode. On peut en apporter mille preuves, sans parler de l’histoire des Phédres dans laquelle on voit que celle de Pradon fut applaudie & celle de Racine sans succès, & sans rappeller que Lanfranc l’a emporté sur le Dominiquin, le Vouet sur le Pousn, &c. &c.

Il y a pourtant une manière d’expliquer l’opinion publique. Lorsqu’elle est même injuste, s’il lui arrive de donner la préférence à un talent de fantaisie & d’eclat, sur un talent profond & solide ; c’est que celui-ci demande des connaissances & du tems pour le peser & l’apprécier ; au lieu que l’autre saisit vivement les sens & entraîne d’abord la multitude.

[[1]] On est de glace aux vérités,
On est de feu pour le mensonge.

Le gout de mode a coutume de déterminer le succès des ouvrages d’esprit ; mais on ne doit pas déterminer sur cela, le jugement qu’il convient d’en porter. Et pour ne pas sortir de ce qui regarde les productions des beaux-arts, nous avons vu des artistes jouir de la plus haute réputation, mourir, & l’estime de leurs travaux mourir avec eux : tandis que des hommes dont la carrière a été obscure, ont laissé des ouvrages qui servent de modèle à la postérité.

Quand on reconnoît dans un ouvrage des


parties essentielles, on ne doit ni le blàmer ni le condamner sur ce qu’il ne plaît pas au public. On ne peut pas accuser l’homme à talent, parce qu’il n’a pas cherche à plaire à son siècle ; & on doit souvent même le louer d’avoir résisté à ce torrent de la mode. Ecoutons Reynolds, disc. 4. Le tems present & le tems futur, dit-il, peuvent être considérés comme rivaux ; & celui qui courtise l’un, doit s’attendre à être dédaigné par l’autre. ([2])

Après avoir démontré qu’un bon outvrage peut ne pas jouir d’un prompt succès ; 2°, Qu’un artiste n’est pas fautif s’il n’en a réellement pas mérité ; tout le monde conclura avec nous que son travail n’en doit pas moins être payé le prix qui sera jugé lui être dû par des arbitres éclairés & équitables.

Passons aux difficultés qui peuvent naître d’après des conventions verbales qui sont les plus ordinaires avec les personnes d’art.

Un amateur a demandé un tableau & est convenu du prix. Il lui est présenté, il exige des changemens ; des retouches : l’artiste complaisant céde à ses desirs : & après mille efforts, l’ouvrage n’est pas accepté. L’affaire mise en cause, on nomme des arbitres. Si le tableau est décidé acceptable, l’amateur est condamné à donner le prix convenu. Cette convention a toujours lieu, à moins que les arbitres ne jugent que l’ouvrage soit de moitié au-dessous de la somme convenue. Parce qu’alors le marché fait, est dans l’espèce de ceux où se recontre en terme de droit, une lésion énorme.

11 en doit être de même à l’égard de l’artiste, si les arbitres décident que l’ouvrage est tel qu’il vaut le double du prix de la convention, il sera payé le double.

S’il arrivoit cependant que d’après un marche fait, l’amateur, trouvant l’ouvrage trèsfoible, pût prouver par lettres ou témoins & non autrement ([3]), que l’ouvrage a été négligé avec intention de le tromper, nous pensons que sans admettre l’arbitrage, l’artiste devroit être condamné à garder son ouvrage, & être par là puni d’un abus de confiance comme d’un dol manifeste qui annulle tot genre d’obligation.

Mai que ces exemples doivent être rares dans la classe des bons artistes ! car leur moindre interêt est de mériter le payement promis, qui est assez ordinairement au-dessous du tems qu’ils ont employé & des efforts qu’ils ont faits. Leur véritable intérêt est celui de former ou au moins de soutenir leur réputation. Assurément le sacrifice qu’ils en

  1. (1) La Fontaine.
  2. (1) Trad. de M. Jansen. Paris, 1787.
  3. (2) Dolum non nisi perspicuis indiciis probari convenit.