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Ce qui est plus vraisemblable, c’est qu’entendant les envieux lui opposer sans cesse cette manière, il voulut prouver qu’il n’étoit pas incapable de l’imiter. C’étoit donner dans le piège que lui tendoient ses ennemis : il ne pouvoit jamais être plus grand, plus admirable, qu’en continuant d’être lui-même. Son incendie del Borgo, & les autres tableaux qu’il fit dans la manière du peintre Florentin, sont de beaux ouvrages sans doute ; mais ils ne doivent pas être comptés au nombre des beaux ouvrages de Raphaël. Leur caractère exagéré les rend indignes de ce maître. Raphaël reconnut bientôt son erreur, & ne suivit plus que l’heureuse impulsion de son naturel.

François I, le restaurateur des lettres en France, & le protecteur des arts, voulut avoir un ouvrage de ce grand maître, & lui demanda un Saint-Michel, que le peintre fit bientôt suivre d’une sainte famille qu’il offrit au Roi comme un présent. Le monarque voulut l’attirer dans ses états, mais l’artiste fut retenu à Rome par la faveur de Léon X.

Raphaël, comme la plupart des peintres de son temps, ne se contentoit pas de manier le pinceau : il modela un bas-relief & deux figures, dont l’une représente Elie & l’autre Jonas. Ces morceaux ont été sculptés en marbre, & se voyent dans l’église de la Madonna del Popolo. Il exerça aussi l’architecture, & ce fut sur ses dessins que furent élevés le palais Pandolfini à Florence, & les appartemens de la Villa Chigi . Il fut chargé de la reconstruction de la Basilique de St. Pierre.

Il destinoit à François I. le fameux tableau de la transfiguration, auquel la mort ne lui permit pas de mettre la dernière main, & qui se voit à Rome à san-Pietro in Montorio . Il passe pour le chef-d’œuvre de Raphaël, quoiqu’on ne puisse fermer les yeux sur les défauts de la composition.

On lit dans les œuvres de M. Falconet, que cette peinture fut descendue, ces années dernières, pour être exécutée en mosaïque, & qu’on vit avec surprise que plusieurs figures de ce chef-d’œuvre, qu’on n’avoit vu depuis long-temps que dans l’endroit obscur où il étoit placé, étoient indignes du maître, qu’on ne les crut plus de la mainde Raphaël dès qu’on les vit de près & que des ordres supérieurs défendirent de révéler le secret.

Des Artistes qui ont vu de fort près ce tableau & qui en ont même copié des parties, m’ont assuré qu’il est très-bien peint & d’une bonne couleur, quoiqu’à d’autres égards ils ne le regardent par comme le meilleur ouvrage de Raphaël. Ils celebrent surtout, pour l’art du pinceau, la figure de femme qui est sur le devant. Ils étoient à Rome dans le temps où devoit êtré arrivé le fait raconté par M. Falconet, & ils n’en ont aucune connoissance. On a peut-être trompé cet habile artiste, que d’ailleurs on ne peut combattre dans la critique qu’il fait de la composition de ce tableau. Il est certain que l’action est double ; il est certain qu’il offre deux tableaux en un seul ; il est certain que le tableau supérieur est froid & symmétrique ; mais quel défaut n’est pas capable de racheter la beauté du tableau inférieur !

S’il est vrai qu’on ait formé le projet d’exécuter la transfiguration en mosaïque, on connoissoit d’avance les désauts de la composition ; on savoit d’avance que cet ouvrage n’étoit pas entièrement terminé. Si, en le voyant de près, on a remarqué quelque figure ebauchée par un éléve d’après les dessins du maître, que Raphaël n’avoit pas eu le temps de retoucher ; ce n’étoit pas une raison pour abandonner le projet, puisque la manœuvre différente de la mosaïque auroit en partie effacé ce défaut qui seroit devenu entiérement insensible par la hauteur à laquelle cette mosaïque devoit être placée. Enfin les juges qui proscrivirent alors le tableau avoient-ils des connoissances supérieures à celle de tant d’Artistes qui se sont fait hisser dans l’église où il est placé pour l’étudier de près ?

Le jugement que Mengs a porté sur quelques parties de ce tableau ne sera pas ici déplacé. « Le coloris en est très beau, dit-il, dans quelques parties, mais non pas dans toutes ; les hommes en sont mieux colorés que les femmes. Je crois même qu’il y a des figures qui ne sont pas de Raphaël ; par exemple, le démoniaque & tout ce grouppe où l’on reconnoit le pinceau timide de Jules-Romain. Les têtes des apôtres du côté oppose ont été toutes retouchées par Raphaël, & l’on y reconnoît la touche hardie & vigoureuse du maître ; cependant il y règne une égalité de tons qui rend les chairs dures & séches. Raphaël avoit pour règle générale d’épargner les couleurs jaunes & rouges. Il entendoit assez bien les effets que les ténébres font sur les couleurs qu’elles détruisent & rendent grisâtre & noirâtre ; mais il négligoit les reflets, & ne se servoit que de clairs & d’obscurs dont il composoit les demi-teintes, ce qui leur donnoit un œil grisâtre & enfumé. Comme les peaux fines sont plus sujettes à la variété des teintes que celles qui sont grasses & épaisses, celles de Raphaël, qui manquent de cette variété des reflets, sont rudes & mattes. »

« En étudiant Raphaël, dit M. Cochin, vous appercevrez une chose qui pourra vous surprendre, & qui fait bien l éloge de ce grand homme : quelqu’attention que vous


» apportiez