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art , l’homme s’élève dans les cîeux , îl pénétre dans les enfers & il voit avec plaifir des réunions de chofes impolTibles à trouver enfemble.

Mais n’entreprenons pa^ ici un éloge de la peincure : fçachons l’eulcment dire julcu’où les artiftes peuvent la porter, & montrer par-là tout ce que les grands de la terre lui doivent. Elle peut inftruire l’homme de l’es devoirs , l’enflammer des plus nobles paflàons ; mais elle peut auffi exciter dans nos âmes les defirs les plus funeftes : c’eft alors qu’il faut la réprimer. La peinture ajoute au ientiment de refpe 6l que nous devons porter dans les palais & dans les temples ; mais quand elle y eft mal placée ou prodiguée, elle nuit à l’enfemble &. perd de fon effet. Ce trélbr de l’efprit humain peut fe comparer à l’or ; comme ce métal , il perd de fon prix par une triviale extenlion ; comme lui, il devient dangereux, quand il corrompt nos cœurs.

Préfenter dans une peinture des objets qui répugnent à la faine morale : c’eil lui enlever un de fes plus précieux attributs, la publicité ; c’eft fe rendre par é :ar , corrupteur des fens ; e’efb enfin avilir un des plus beaux dons que l’auteur de toutes vertus ait fait à l’homme j l’indufîrie. Les riches dont le goût n’eft pas corrompu doivent payer ces fortes de peintures , même chèrem.ent, afin de les détruire. Mais qu’une fage délicateffe pour ce qui tient aux bonnes mœurs , ne tourne pas en fcrupule puérile , en fanatifme ; l’amour & la tendre volupté ne forcent pas des vues de la nature ,

au lieu que la licence & la débauche font 

ennemies de la pudeur , de la fanté, de l’ordre public , & par conféquent de toutes religions.

Après avoir donné l’exclufion à tout ce qui peut confeiller le crime , admettons tous les prodiges que la nature nous offre pour en former nos tableaux. Mais tant d’objets divers préfentés entant de manières, fe partagent entre les différents efprits qui s’occupent de la peinture : cette diverîité dans la matière de leurs travaux conflitue la différence des genres.

lera bon, avant d’en faire la divifion , d’établir 

quelques principes fondamentaux fur le vrai but de la peinture . far fes poflibilités & : fur ce qu’on a droit d’attendre d’elle. Nous examinerons ces différens points , & nous tâcherons de les fixer, en répondant à tous les raifonnemens qu’on oppofe à fes effets & au plaifir qu’elle peut nous procurer. De ce que la peinture produit quelquefois une ilhifion parfaite , & qu’elle nous repréfente quelques objets fi reffemblans à la nature elle-même qu’on y porte la main , il feroit ridicule d’en conclure que c’eft dans une t^Ue imitation que confifte fon exçelleace , P E I

&_ qu elle ne doit rien entreprendre de ce qui n’eft pas fufceptible de cette illufion. Il ne nous paroît pas difficile de prouver au contraire , que les patties de l’art qui admettent l’illufion & produifent l’erreur , ne font que des parties très-bornées , & que l’excellence tfe ^S- dffiz.uhé àe la peinture rélident dans celles où l’illufion eft impoflible.

L) abord pour {tromper les yeux’, il faut choîiir des objets immobiles , tels que le rideau d’Apeiles & les raifins de Zeuxis. Car fi les objets Ibnt fufceptibles du moindre mouvement, l’œil ne peut plus y être trompé : dèslors on conviendra que l’art, quand fon but eft 1 illufion, eft borné à l’imitation des objets les plus infipides. En fécond lieu, les modèles choifis pour faire illufion , doivent être d’une teinte fourde &,de nature à abforber les rayons de^ la lumière. Car le plus grand blanc que les peintres puiffent employer étant une matière opaque , il n’eft pas poffible qu’ils parviennent à imiter , au point de tromper , l’éclat d’une lumière réfléchie fur aucun corps dur & luifant : d’un autre côté, les belles couleurs dont la nature embellit plufieurs de fes produftions , rendent ternes & fales les plus belles matières colorées dont les peintres puiffent fe fervir , fi elles lui font immédiatement comparées -, d’oiî il faut conclure que les objets de couleurs riches & brillantes ne doivent pas être pris pour modèles , fi le feul but de la peinture eft de tromper les yeux. Allons plus loin : après avoir démontré que ce genre de talent eft borné à l’imitation des objets immobiles & des couleurs les moins brillantes, prouvons que ces repréfentations ne peuvent avoir de fiiccès que fur des efpaces de médiocre grandeur ; car fi vous préfentez un tableau d’une vafte étendue , il faut fuppofer une grande diftance pour le voir. Or une grande diftance fuppofe un point de vue unique, pour produire quelqu’illufion par les objets du tableau qui feront fufceptiblas de perfpeûlve , & ces mêmes objets paroîtront difformes, fi le fpeflateur eft hors de ce point de vue obligé : mais comme il eft difficile qu’il s’y place fans y être amené, & fans qu’il ■" en foit prévenu , il eft contraire à la raifon d’entreprendre des puvrages à illufion dans de grands efpaces.

Concluons de tout ce qui vient d’être dit, que la Peinture fait le charme de nos yeux , qu’elle pare nos habitations , qu’elle préfente tout l’éclat auquel l’art puiffe atteindre ; que lorfqu’elle exprime les paffions & les mouvemens de l’ame , elle nous pénètre des fentimens les plus nobles & les plus touchans r mais que nous devons abandonner le projet de i faire illufion toutes les fois que nous voudrons I déployer fes facultés les plus diftinguées.