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degré de force, en sorte que la surface paroît toujours telle qu’elle est. Persuadés que la difficulté étoit invincible, ils n’auront pas voulu lutter contre elle ; & ils auront cherché à la diminuer, en diminuant la saillie & l’enfoncement de leurs compositions.

Ils firent plus encore : voulant jouir pleinement des figures peintes, comme ils jouiffoient de l’aspect d’une statue, ils eurent soin, le plus souvent, que chaque figure fût détachée des autres dans un même tableau, ce qui leur procuroit la facilité de lui donner plus de relief & de la rendre plus distincte à l’œil du spectateur éloigné. Je crois voir ce principe dans la composition de la plupart de leurs basreliefs qui devoit être à peu-près la même que celle de leurs tableaux ; je crois le voir indiqué dans un passage de Pline, où cet écrivain dit qu’Apelles cédoit à Amphion par la disposition & à Asclépiodore par les mesures, c’est-à-dire, par la distance qui doit se trouver entre chaque object, quanto quid à quo distare deberet. Voyez l’article CONFUS. Ce principe est encore plus clairement établi par Quintilien : il dit qu’un objet peint manque de relief quand rien ne l’entoure ; & que, pour cette raison, quand les artistes introduisent plusieurs objets dans un seul tableau, ils laissent de la distance entr’eux, pour que les ombres ne tombent pas sur les corps. Nec pictura, in qua nihil circumlitum est, eminet ; ideoque artifices, etiam cum plura in unam tabulam operà contulerunt, spatiis distinguunt, ne umbrœ in corpora cadant, Inst. Orat. lib. 8. cpa. 5.

Suivant cette régle de composition, si étrange pour nous, chaque figure se distinguoit dans toutes ses parties avec la plus grande netteté, & il n’étoit pas permis à l’artiste de se permettre la moindre négligence ; tout devoit être beau dans son ouvrage, parce que rien n’y pouvoit échapper à l’œil sévère de la critique.

Cependant comme les modernes ôsent quelquefois se soustraire à la loi qu’ils se sont faite de pyramider, de lier, de groupper, de ne pas laisser dans la composition de ce qu’ils appellent des trous ; de même les anciens se permettoient aussi, quand ils le jugeoient convenable, de ne pas laisser de distance entre leurs figures. On voit de fort beaux grouppes dans des peintures antiques, & il est prouvé par ces exemples que les anciens n’étoient pas dans l’impuissance de groupper aussi bien que les modernes. Dans un tableau d’Herculanum qui représente peut-être l’éducation d’Achille, la figure du vieillard qui tient un enfant sur ses genoux, & celle de la femme qui est derrière lui, forment un grouppe très agréable. Le tableau d’un peintre Athénien nommé Alexan-


dre, ouvrage de la même collection, peint d’une seule couleur sur le marbre, est de cinq figures bien composées, même suivant les idées des modernes, si ce n’est que des observateurs rigoureux des principes classiques, pourroient condamner trois têtes placées à la même hauteur. Trois de ces figures forment un grouppe plein de grace ; les deux autres sont liées entr’elles sans aucune affection ; les actions sont vraies & naïves, les draperies sont légères. Il est très vraisemblable que ce morceau du cabinet d’Herculanum étoit la copie d’un tableau monochrome fait dans les beaux temps de l’art.

Le bas-relief antique représentant la mort de Méléagre peut nous donner une idée de la manière de composer des peintres antiques ; & cette manière mérite d’être adoptée par les peintres modernes qui craignent l’affectation. Les figures, au nombre de sept, en sont bien grouppées, & toute l’ordonnance en est assez belle pour avoir été adoptée par le Poussin dans son tableau de l’extrême-onction.

Ainsi la loi de détacher toutes les figures dans un tableau étoit donc un principe d’école que les artistes ne respectoient pas toujours, & quand ils jugeoient à propos de s’en écarter, ils ne nous cédolent pas dans le genre des compositions sages. Quant aux compositions tourmentées, affectées, ambitieuses, théatrales, ils ne nous en ont transmis aucun exemple, non plus que Raphaël, & c’est ce que bien des modernes ont peine à leur pardonner.

S’ils ont peu multiplié les plans de leurs compositions, on peut présumer, qu’ils n’ont pas moins été détournes de cette multiplicité de plans par le sentiment que par la raison. Ils ont senti que le vague d’une scène très-profonde répandoit aussi quelque chose de vague dans l’esprit du spectateur, égaroit son imagination, & l’empéchoit de la concentrer sur l’obiet principal qui devoit seul l’occuper. Aussi voyons nous que les peintres les plus sages, & surtout Raphaël, ne se sont pas ordinairement fort écartés à cet égard de la pratique des anciens.

Mais soutiendrons-nous qu’ils ne multiplioient pas les plans, qu’ils n’indiquoient pas le vague de l’air, qu’ils n’observoicent pas la perspective aërienne, lorsqu’ils représentoient des paysages, des vues, des marines ? Nous serions démentis par la description trop succinte que Pline nous a laissée des tableaux de Ludius : nous le serions bien plus puissamment encore par un assez grand nomdre de tableaux d’Herculanum. Je ne puis parler que d’après les estampes ; plusieurs offrent des vues qui sembleroient gravées d’après des artistes modernes.

La pureté du dessin, le beau choix des formes, l’expression, la convenance ; voilà les grandes parties de l’art ; voilà celles qui ont assuré à Ra-