Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/769

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
636 PEI PEI


la nature, que les Grecs admiroient dans les tapis de Perse.

Les Perses, ainsi que les Arabes, ont connu la mosaïque. Cette industrie est estimable quand elle reproduit n’une manière indestructible les ouvrages des grands maîtres : mais si les Perses n’avoient pas de bons tableaux à traduire en mosaïque, qu’importe qu’ils aient eu l’adresse de ranger d’une manière solide, des cailloux les uns à côté des autres ?

On ne connoît le nom que d’un seul peintre Persan ; mais on l’a retenu, non parce qu’il étoit peintre, mais parce qu’il adapta au christianisme l’ancienne doctrine des deux principes. D’ailleurs, tout ce qu’on dit de Manès est fort incertain : il est même douteux qu’il ait été Persan : on dit qu’il se nommoit d’abord Curbicos, ce qui est un nom grec. Est-on plus certain qu’il étoit peintre ? On loue le peintre Giotto en Italie, parce qu’il fit un cercle sans Compas : on loue, dit-on, le peintre Manès en Asie, parce qu’il tiroit des lignes droites sans régie. Cela prouve tout au plus que Manès avoit de la fermeté dans la main, & l’adresse du Giotto ne prouveroit rien de plus, si l’on ne savoit d’ailleurs qu’il fut le meilleur peintre de son temps.

Les Persans modernes n’ont fait aucuns progrès dans les arts. L’Empereur Schah-Abbas eut le caprice de vouloir apprendre à dessiner : il fut obligé d’avoir recours à un peintre hollandois qui se trouvoit alors dans ses états.

Peinture dans l’Inde & au Thibet.

Les Persans modernes peignent des toiles ; les Indiens sont leurs rivaux dans ce genre d’industrie : mais ces peintures sont purement capricieuses. Elles représentent des plantes, des fleurs qui n’ont aucune existence ; elles ne sont estimées que par l’éclat & la solidité des couleurs.

D’ailleurs l’art des Indiens le réduit à présent, comme dans la plus haute antiquité, à représenter des figures monstrueuses, relatives à leur religion ; des animaux qu’on ne trouve point dans la nature ; des idoles à plusieurs bras, à plusieurs têtes, qui n’ont ni vérité, dans les formes, ni justesse dans les proportions. On peut en voir quelques exemples dans l’ouvrage de M. Holwell.

J’ai vu des peintures originales du Thibet. Elles montrent beaucoup de patience, & sont remarquables par la finesse du trait : mais je parle ici d’une finesse ou plutôt d’une subtilité physique, & non de celle qui est une qualité estimable de l’art. Les peintres Thibétains auroient pû le disputer à Apelles & à Protogenes pour l’extrême ténuité du pinceau ; mais ce n’est que dans cette partie qu’ils pourroient


entrer en concurrence avec d’habiles artistes. On peut consulter l’alphabetum Thibetanum : on y trouvera la gravure de quelques ouvrages du Thibet.

On connoît aussi des idoles thiberaines en relief, ce sont les productions d’un peuple qui en est encore à l’enfance de l’art, & comme ce peuple est laid, il n’exprimera jamais l’idée de la beauté, qui seule peut conduire l’art à sa perfection. La meme cause condamne pour toujours les Chinois, les Calmoucks & la nombreuse famille des Mongols à la médiocrité, si pourtant on peut espérer qu’ils fassent jamais assez de progrès pour y parvenir.

Peinture à la Chine.

Un peintre Italien nommé Giovani Ghirardini a été à la Chine : c’étoit un artiste fort obscur ; mais son jugement sur les objets d’un art qu’il exerçoit, & dont il devoit avoir au moins quelque connoissance, est bien préférable à celui des voyageurs qui n’en avoient aucune. Il a prononcé que les Chinois n’avoient pas la moindre idée des beaux-arts, & son jugement est fortifié par tout ce que nous connoissons de ce peuple,

Les Chinois semblent ne pas même soupçonner la perspective. Ils font des paysages, & n’ont aucune idée des plans, aucune du feuiller des arbres, aucune du parti que l’on peut tirer des fabriques, aucune de la fuite des lointains, aucune des formes variées que prennent les nuages, aucune de la dégradation des objets en proportion de leur distance : c’est-à-dire qu’ils font des paysages, qu’ils ne font guere que des paysages, & qu’ils n’en ont aucune idée.

Chez eux la nature humaine n’est point belle : loin de chercher à l’embellir, loin de chercher même à la rendre telle qu’elle est, ils s’étudient à la rendre encore plus difforme. Ils ont une sorte de vénération pour les gros ventres : ils croyent ne pouvoir donner de trop gros ventres aux représentations de leurs dieux ; une figure courte & ventrue est pour eux une figure du style héroïque, un gros ventre est le caractère extérieur par lequel ils désignent leurs grands hommes. Les figures de femmes au contraire minces, allongées, ressemblent à des ombres plutôt qu’à des êtres vivans.

Pour que les arts fleurissent, il faut qu’ils soient considérés & recompensés. Les peintres sont les ouvriers les plus mal payés de l’Empire.

Les ignorans admirent l’éclat & la propreté de leur couleur : mais il faut bien qu’une enluminure faite avec des couleurs sans mélange ait du brillant & de la propreté. La difficulté de l’art est de mélanger & de fondre les cou-