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car il est assez naturel à l’homme de faire marcher le superflu avant le nécessaire. Cette seconde sorte de peinture est celle qui conserve le souvenir des événemens : elle a précédé l’écriture. On a commencé par tracer la chose même dont on vouloit conserver la mémoire longtemps avant que d’imaginer l’art de l’indiquer par des caractères de convention. Les hiéroglyphes ont précédé l’écriture, & peut-être l’écriture alphabétique n’est-elle née que des abréviations de l’écriture hiéroglyphique.

La peinture n’a d’abord consisté que dans un simple trait ; on a commencé à indiquer le contour des objets, longtemps avant que d’en exprimer le relief & la couleur. L’art consistoit alors tout entier dans la partie que nous appellons dessin, & tant que cette partie a été connue seule, elle est restée dans le plus grand état de foiblesse : ses chefs-d’œuvre ressembloient à ces dessins que font les enfans dans leurs jeux. On demandera comment n’étant occupé que d’une seule partie, on ne l’a pas portée à la perfection ? Comment des hommes qui n’avoient à faire qu’un trait n’étoient pas parvenus à le faire au moins aussi bien que Raphaël, qui étoit distrait par la nécessité de s’appliquer en même temps au clair-obscur & à la couleur ? Une expérience constante fournit la réponse ; c’est que l’homme ne fait bien le moins, que quand il sait faire le plus.

Après avoir fait long-temps ces simples traits, on s’est avisé d’employer des matières colorantes pour imiter les couleurs des objets qu’on représentoit : on a imité use draperie jaune, en remplissant le trait d’une touche de couleur jaune, & une draperie bleue en remplissant le trait d’une couche de couleur bleue. La peinture n’étoit que ce que nous appellons de l’enluminure, & c’est en cet état qu’elle est restée chez bien des peuples à qui l’on ne peut même refuser le titre de peuples industrieux, tels que les Egyptiens, les Indiens, les Chinois.

D’autres peuples plus observateurs ont reconnu que, dans la nature, les objets avoient du relief, & qu’ils le devoient au jeu de la lumière ; ils ont inventé la partie de l’art qu’on nomme le clair-obscur. Les Grecs, observateurs plus fins, plus délicats, plus sensibles que les autres nations, ont inventé cette partie avant de trouver celle du coloris, & ils ont fait des peintures monochromes ou des camayeux avant de faire des tableaux coloriés, au lieu que d’autres peuples ont fait des tableaux coloriés ou enluminés, sans être jamais parvenus au point de pouvoir faire un camayeu. Il étoit naturel que la plupart des nations s’en tinssent à l’enluminure, car elle a plus de charmes que le camayeu pour les gens qui ne connoissent point l’art, & les connoisseurs


de l’art ne se forment qu’en proportion de ce que l’art est plus ou moins perfectionné. Tant qu’une nation n’a pas de bons artistes & de bons connoisseurs, elle est réduite, pour l’art, au point de ce que nous appellons le petit peuple. Or, nous voyons que le petit peuple est plus flatté de voir des couleurs appliquées à couches plates, & d’autant plus brillantes qu’elles sont moins rompues, moins mélangées, que de voir la grisaille ou le camayeu fait par le plus savant artiste.

Mais il n’en est pas moins vrai que la peinture monochrome, la grisaille, le camayeu, exigent bien plus de talens & d’observations de la part de l’artiste, que la simple enluminure. L’enluminure ne consiste qu’à coucher une couleur bleue partout où l’on voit du bleue, une couleur rouge partout où l’on voit du rouge : la peinture monochrome exige une observation très fine & très difficile de la dégradation qui donne le relief aux objets, & qui est causée par le jeu de la lumière & de l’ombre.

Quoique nous ayons regardé comme naturel à l’homme le goût de la sorte d’imitation que nous nommons peinture ; quoique l’on trouve quelque commencement de l’art de peindre chez presque tous les peuples ; il s’en faut bien que le plus grand nombre aient pratiqué l’art d’imiter la nature à l’aide du pinceau avec des couleurs délayées. Plusieurs n’ont jamais employé que la sorte de peinture que M. Warelet appelle en couleurs seches, dans son article Origine de la peinture.

On peut peindre en couleurs seches en rapprochant des morceaux de bois de différentes couleurs ; c’est ce que nous appellons marquetterie : en rapprochant des pierres diversement colorées ; c’est ce que nous appellons mosaïque : en se servant de l’éguille pour attacher sur un fond des substances fibreuses, telles que le coton, la laine, la soie ; c’est ce que nous nommons broderie : en employant & distribuant ces mêmes substances à l’aide de la navette, c’est ce que nous appellons travailler en étoffes. Bien des peuples n’ont employé que quelques-unes de ces manières de peindre, & l’on peut soupçonner qu’en général elles ont précédé la peinture au pinceau.

Peinture chez les Egyptiens.

Platon qui vivoit quatre cent ans avant l’ère vulgaire, assuroit que la peinture étoit exercée en Égypte depuis dix-mille ans, qu’il restoit encore des ouvrages de cette haute antiquité, & qu’ils n’étoient, à aucuns égards, différens de ceux que les Egyptiens faisoient encore de son temps. Sans regarder l’époque de dix-mille


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