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qu’à leurs yeux, est un artiste agréable, & mérite le premier rang entre les décorateurs.

L’artiste qui se distingue par des conceptions nobles, grandes, profondes ; qui, par le moyen d’un dessin pur & d’une couleur plus capable d’arrêter les regards que de les éblouir, de les fixer que de les séduire, fait entrer dans l’ame des spectateurs les sentimens dont il est pénétré, les échauffe de son génie, leur inspire des pensées qui les occupent encore lors même qu’ils ne voyent plus son ouvrage : cet Artiste est un poëte, & mérite de partager le trône d’Homère.

C’est en se formant cette grande idée de son art que le peintre deviendra grand lui-même. Mais s’il n’y voit que des moyens de plaire, ou du moins d’étonner par le prestige de la couleur, par ce qu’on appelle la grande machine de la composition, il n’aura que la gloire secondaire d’être un coloriste, un machiniste, de flatter les yeux par des variétés & des oppositions de teintes, & par des agencemens industrieux d’une grande multiplicité d’objets ; c’est à cette place que des écoles presqu’entieres doivent être condamnées.

Il en est de la peinture comme de la poësie. L’homme qui fait des vers, & qui n’y renferme que des idées communes, exerce le métier de soumettre des syllabes à une certaine mesure. Le poëte qui renferme, dans des vers bien faits, des idées purement agréables, n’exerce qu’un art d’agrément. Celui qui rend plus sublimes encore, par la magie des vers, des idées, des images déjà sublimes par elles-mêmes, est un grand poëte, un grand peintre ; il mérite la couronne que les Nations ont décernée à Homère, à Virgile, à Raphaël, au statuaire Auteur de l’Apollon antique : car pourquoi ne mettrions-nous pas au même rang les poëtes qui se sont exprimés par des paroles, par des couleurs, par des formes empreintes dans le marbre ou moulées sur l’airain ? C’est le même génie parlant des langues différentes.

Comme les grands poëtes, les grands peintres, les grands statuaires sont d’illustres Artistes, il n’est que trop commun de voir des hommes ordinaires, parce qu’ils font des vers, des statues, des tableaux, se croire de la même profession que ces hommes distingués, prendre leur mesquine vanité pour la noble fierté de l’art, se former une haute idée de leur état, parce qu’ils veulent inspirer une haute idée d’eux mêmes, & prétendre qu’on doit leur accorder une grande considération, parce que le hazard capricieux a mis dans leurs mains une plume, un pinceau, un ébauchoir, plutôt qu’un rabot ou une truelle : Ils se décorent avec orgueil du titre d’artistes ou de poëtes, sans examiner s’ils ne sont pas seulement des ouvriers dont le mé-


tier, très-peu respectable, est de compasser des syllabes, de couvrir une toile de couleurs, de pétrir de la terre ou de tailler du marbre.

Le peintre, le statuaire, vraiment artistes, méritent tous les hommages que l’on doit au génie : ils sont du nombre de ces hommes que les siècles avares accordent rarement à la terre. Sont-ils sublimes ? ils élevent l’espèce humaine. Sont-ils seulement agreables ? ils lui procurent de douces sensations nécessaires à son bonheur ; car le plaisir est pour nous un besoin. Mais le peintre vulgaire, le statuaire médiocre, loin d’usurper la dignité d’artiste, & de s’enorgueillir de son usurpation, devroit se sentir humilié de n’exercer qu’un métier inutile. Quand on n’a pas les grands talens qui honorent l’humanité, il faut du moins la servir ; & quelle utilité peuvent tirer les hommes, pour leurs besoins ou pour leurs plaisirs, de mauvais tableaux ou de méchantes statues ? (Article de M. Levesque.)

PEINTRES. Un art n’est qu’un être métaphysique, lorsqu’on le considére indépendamment des ouvrages de ceux qui l’on exercé. C’est dans ces ouvrages qu’il existe, c’est dans ces ouvrages que l’on peut en prendre connoissance, c’est l’histoire de leurs auteurs qui forme l’histoire de l’art.

Histoire de la peinture chez les anciens.

Le desir d’imiter est un des goûts naturels à l’homme ; la variété des formes & des couleurs est une des causes de ses plaisirs. Ainsi l’homme a dû partout chercher à imiter ce qu’il voyoit ; partout il a dû se plaire à tracer des formes variées, à réunir des variétés de couleurs. On a cherché quel peuple a inventé la peinture : cette invention, prise dans son état le plus grossier, a été faité partout.

Les peuples sauvages, qui cachent même à peine leur nudité, n’ont pas de galeries de tableaux, n’ont pas de riches étoffes qui sont des tableaux elles-mêmes : cependant ils ont une sorte de peinture, ils la portent toujours avec eux, ils se l’impriment douloureusement dans les chairs & savent la rendre ineffaçable. Les mères procurent de bonne heure à leurs enfans cette difformité qu’elles regardent comme une beauté ; elles leur piquent la peau avec des os aigus ou des arrêtes de poissons, & frottent ces plaies récentes de substances colorées. Ainsi les sauvages sont parvenus à s’identifier ce qui leur tient lieu d’étoffes richement peintes & de cabinets de tableaux. Ils ne risquent de les perdre ou de les voir altérer que par les blessures qu’ils recevront dans les combats.

Cette sorte de peinture est inspirée par le luxe ; une autre l’est par le besoin ; mais elle semble n’avoir été inventée que la seconde ;


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