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de cette sorte, doit avoir dans l’esprit la manière & les principes du maître dont il veut donner l’idée, afin d’y réduire son ouvrage, soit qu’il y fasse entrer quelque partie d’un tableau que ce maître aura déjà fait, soit que l’invention étant de lui, il imite avec légereté non seulement les touches, mais encore le goût du dessin & celui du coloris. Il arrive très souvent que le peintre qui se propose de contrefaire la manière d’un autre, ayant toujours en vue d’imiter ceux qui sont plus habiles que lui, fait de meilleurs tableaux de cette sorte que s’il produisoit de son propre fond.

Entre ceux qui ont pris plaisir à contrefaire ainsi la manière des autres peintres, je me contenterai de nommer ici David Teniers, ([1]) qui a trompé & qui trompe encore tous les jours les curieux qui n’ont point été prévenus sur l’habileté qu’il avoit à se transformer en Bassan & en Paul Véronese. Il y a de ces pastiches qui sont faits avec tant d’adresse, que les yeux même les plus éclairés y sont surpris au premier coup d’œil : mais après avoir examiné la chose de plus près, ils démêlent aussitôt le coloris d’avec le coloris & le pinceau d’avec le pinceau.

David Teniers, par exemple, avoit un talent particulier à contrefaire les Bassans : mais le pinceau coulant & léger qu’il a employé dans cet artifice, est la source même de l’évidence de sa tromperie. Car son pinceau, qui est coulant & facile, n’est ni si spirituel, ni si propre à caractériser les objets que celui des Bassans, surtout dans les animaux.

Il est vrai que Teniers avoit de l’union dans ses couleurs : mais il y régnoit un certain gris auquel il étoit accoutumé, & son coloris n’a ni la vigueur, ni la suavité de Jacques Bassan. Il en est ainsi de tous les pastiches, & pour ne s’y pas laisser tromper, il faut examiner, par comparaison à leur modèle le goût du dessin, celui du coloris, & le caractère du pinceau.

Sans entrer dans les exceptions, on peut dire en général avec M. de Jaucourt (article Pastiche dans l’ancienne Encyclopédie) que les faussaires en peinture contrefont plus aisément les ouvrages qui ne demandent pas beaucoup d’invention, qu’ils ne peuvent contrefaire les ouvrages où toute l’imagination des artistes a eu lieu de se déployer. Les faiseurs de pastiches ne sauroient contrefaire l’ordonnance, ni le coloris, ni l’expression des grands maîtres. On imite la main d’un autre ; mais on n’imite pas


de même, pour parler ainsi, son esprit, & l’on n’apprend point à penser comme un autre, ainsi qu’on peut à apprendre prononcer comme lui. ([2])

Le peintre médiocre qui voudroit contrefaire une grande composition du Dominiquin, ou de Rubens, ne sauroit nous en imposer plus que celui qui voudroit faire un pastiche sous le nom du Giorgion ou du Titien. On ne sauroit contrefaire le génie des grands hommes ; mais on réussit quelquefois a contrefaire leur main ; c’est-à-dire leur manière de manier le pinceau, d’employer les couleurs & de frapper les touches, ce qu’il y a de manièré dans leur trait, les airs de tête qu’ils répetent, enfin tout ce qu’il peut y avoir de défectueux dans leur pratique. Il est plus facile d’imiter les défauts des grands hommes que leurs perfections.

Luc Giordano, peintre Napolitain, que ses compatriotes appelloient il fa presto, (le dépêche besogne) étoit, après Téniers, un des plus grands faiseurs de pastiches qui ait tendu des embuches aux curieux. Fier d’avoir contrefait avec succès quelques têtes du Guide, il entreprit de faire de grandes compositions dans le goût de cet aimable artiste, & des autres éleves du Carrache. Tous ces tableaux, qui représentent différens événemens de l’histoire de Persée, sont peut-être encore à Gênes. Le Marquis Grillo, pour lequel il travailla, le paya mieux que n’avoient été payés dans leur temps les artistes dont il se faisoit le singe. On est surpris, il est vrai, en voyant ces tableaux ; mais c’est de ce qu’un peintre, qui d’ailleurs, ne manquoit pas de talent, ait si mal employé ses veilles, & qu’un Seigneur Génois ait si mal employé son argent.

On rapporte que Bon-Boullogne saisissoit à merveille la manière du Guide. Il fit un excellent tableau dans le goût de ce maître, que Monsieur, frère de Louis XIV, acheta cherement, sur la décision de Mignard, pour un ouvrage du peintre Italien. Cependant le véritable auteur ayant été découvert, Mignard déconcerté dit plaisamment pour s’excuser : « qu’il fasse toujours des Guides, & non pas des Boullogne. »

Pour découvrir l’artifice des pastiches, on n’a guere de meilleur moyen que de les com-

  1. (*) David Teniers, le jeune, plus célèbre que son père. Il imitoit les maîtres d’Italie & ceux de Flandres. Il a fait des pastiches que l’on prend pour des originaux de Rubens.
  2. (*) Bien des peintres ont une manière habituelle d’ordonner qu’on peut imiter, des tons qui leur sont familiers, & que l’on peut contrefaire. Mais il faudroit dessiner comme Raphaël, pour contrefaire son dessein ; il faudroit avoir son ame pour contrefaire son expression ; il faudroit avoir son génie pour contrefaire sa manière de composer ; j’entends ici par composer, faire concourir toutes les parties à l’objet que l’artiste se propose. (Note du Rédacteur.)

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