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PAS les nuances sont les différens degrés d’intensité d’une couleur, & les passages signifient en peinture l’usage qu’on fait des nuances pour parvenir à l’harmonie & la vérité que présente la nature.

On dit d’une tête peinte avec finesse quant à la couleur, qu’il y a dans la carnation, dans la manière dont cette tête est peinte, des passages d’une finesse, d’une legereté extrême ; des passages surprenans.

Les passages sont donc, comme je viens de le dire, des nuances dégradées ou des tons mêlés, rompus, qui donnent à la couleur générale & au clair-obscur une harmonie & une vérité dont on est frappé.

Ce que je dis aux articles demi teinte, accord & harmonie, a les rapports les plus immédiats avec le sujet dont il est question ici.

La nature offre sans cesse au peintre des tons imperceptiblement dégradés & c’est ce qui fait la difficulté pour les artistes qui commencent à peindre, de distinguer & de saisir les passages fins du clair-obscur qui donnent le parfait relief aux objets, & les passages fins de la couleur, qui en font le charme.

La connoissance de ces procédés de la nature s’acquiert par l’observation & par l’étude des ouvrages des maîtres qui en ont été les mieux instruits. L’heureuse application qu’en fait l’Artiste dépend de l’habitude qu’il contracte de peindre d’après la nature, en méditant attentivement sur cette partie. Cette habitude particuliere conduit à finir & quelquefois même à trop terminer. Les Hollandois & l’école Lombarde offrent des artistes qui ont fait l’usage le plus savant de la finesse des passages. Rubens en a supérieurement connu l’art, mais il le laisse souvent trop appercevoir. On peut, à l’aide de ce défaut qui se fait sentir dans quelques-uns de ses ouvrages, étudier l’artifice des passages, parce qu’ils sont désignés d’une maniere plus sensible que dans les tableaux de plusieurs autres maîtres. Van-Dyck les cache plus finement ; on a peine à les appercevoir dans Gerard Dow & le peintre le plus parfait à cet égard seroit sans doute celui dans les ouvrages duquel les passages & les dégradations seroient aussi inperceptibles que dans la nature.

Les passages sont donc, en quelque sorte, les transitions de la couleur & l’on fait que les transitions sont d’autant plus parfaites qu’elles son insensibles. Le plus souvent dans les ouvrages d’esprit, elles sont trop visibles ; mais il est vrai que, lorsqu’elles sont heureuses, on leur pardonne ce défaut : c’est que, dans les Arts que j’ai en vue, l’imagination peut avoir une grande part à l’artifice des transitions, au lieu que dans les passages des tons & des couleurs,


la nature seule impose des loix séveres. Aussi les transitions ont-elles, dans les ouvrages d’esprit, des différences plus marquées que les passages n’en ont dans la peinture ; car il est, comme ont le sait, des transitions qui appartiennent au plan bien médité, des transitions ingénieuses,, qui tiennent à l’ordre des idées, enfin des transitions qui consistent dans les tours & même qu’on établit par les differentes acceptions des mots.

On peut bien dire aussi qu’il y a des passages qui tiennent à la composition & à la disposition des objets d’un tableau ; mais ce qu’on entend pour l’ordinaire & le plus généralement par le mot passages en peinture, est simplement la transition d’un ton à un autre & des lumieres aux ombres. Je ne me permets ces raprochemens des parties des différens arts, que pour montrer, par les détails dans lesquels j’entre, combien on s’expose à en abuser, lorsqu’on n’a pas assez de connoissance de leur théorie & de leur pratique.

(Article de M. Watelet.)

ADDITION au mot passages ([1]) .

On se sert de ce mot dans l’art ; d’abord, dans un sens général, pour exprimer la transition d’un effet à l’autre dans différentes parties de l’art : ainsi, en parlant du dessin, on doit dire le passage du muscle deltoïde au biceps doit être très-sensible à raison de leur situation & de leur formes differentes. Rubens a sçu rendre merveilleusement le passage de la douleur au plaisir dans l’expression de Marie de Médicis à l’instant où elle vient de mettre un fils au monde. On dit le passage de l’ombre au clair doit être insensible, surtout dans les objets circulaires.

En second lieu, on se sets du mot passage dans un sens abstrait, par rapport au coloris. L’admiration que les artistes donnent aux passages fins, lègers, &c. dont parle M. Watelet dans l’article précédent, ne se rapporte qu’aux passages d’une teinte à une autre dans le même objet. Tachons de rendre cette définition sensible. Par exemple : la couleur des tempes est d’un violet fin dans les belles peaux : lorsqu’il est question d’en joindre la teinte avec la couleur plus rouge des joues, & aussi avec la différence que produit la naissance des cheveux, il faut pour réussir excellemment que cette variété de teintes soit sensible sans être tranchée, & que l’artiste passe de l’une à l’antre, sans que le mélange leur fasse rien perdre de leur fraîcheur, & de leur franchise. Le même

Beaux-Arts. Tome I. G ggg

  1. (*) Nous remarquerons ici que, suivant les circonstances, ce mot s'emploie au singulier & au pluriel dans tous les sens.