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O U T Les grands maîtres ont su indiquer de três-belles scènes en montrant seulement des parties de colomnes, de portiques, &c.

Avant de s’appliquer à décorer la scène, il faut chercher si elle s’est passée dans un siècle de luxe, chez un peuple fastueux. On a bien des tableaux dans lesquels brille une richesse qui est une véritable faute contre l’histoire.

Il faut favoir aussi quel étoit le genre d’architecture & de décoration dans le siècle & chez le peuple où se passe la scène.

C’est tomber dans le mesquin, que de s’arrêter à finir & dérailler des ornemens qui doivent à peine être apperçus du spectateur, & dans le mauvais goût que de vouloir trop attirer son attention sur ces détails. Voyez l’article DÉTAILS.

Le genre d’apparat permet la recherche des ornemens ; mais il est très-inférieur au genre expressif.

Orner la scène n’est point la traiter. L’homme de génie suit son grand objet : il remarque à peine les accessoires & les fait à peine remarquer.

Il est aisé de démontrer que les ornemens sont même contraires à la nature dans un sujet intéressant. Snpposez que vous ayez été témoin de l’instant où Esther parut devant Assuérus ; que vous ayez vu cette Princesse tomber évanouie, ses femmes frappées de terreur, le Prince attendri ; croyez-vous qu’en ce moment vous eussiez bien remarqué la décoration & les ornemens du sallon où se passoit la scène ? Ces détails doivent exciter aussi peu votre attention dans le tableau, & si le peintre s’occupe à vous les faire admirer, qu’il s’attende à ne pas faire sur votre ame l’impression qui doit être l’effet de son art. (L.)

OUTRÉ (adj.) Ce terme signifie une exagération excessive & choquante. Dans la peinture, il se dit ; relativement à la forme des objets, à leurs dimensions, à l’action des figure, à leur expression. On s’en sert aussi en parlant de la couleur, & si l’on dit le geste, l’action, les proportions de cette figure ou de ces figures sont outrés, on dit aussi, le coloris de ce peintre est outré.

Les figures peintes & les acteurs d’une ; scène au théâtre ont de grands rapports. Aussi employ-t-on la même manière de s’exprimer, lorsqu’on parle d’un comédien & d’un peintre qui passent les bornes de la vérité dans leurs imitations ; mais le comédien est au moins retenu par son organisation, dans les mouvemens outrés, auxquels il pourroit s’abandonner ; sa structure se refuse à des dislocations de membre, auxquelles l’on voit souvent que ses


prétentions à l’expression & des idées fausses de son art l’entraîneroient, si la nature ne s’y opposoit ; au lieu que le peintre fait prêter, autant qu’il le veut, les articulations de ses figures aux idées exagérées auxquelles il se livre.

L’Anatomie devroit cependant être un frein aussi respecté par le peintre qu’il est puissant pour le comédien ; mais trop souvent le peu de connoissances approfondies de l’artiste, ou l’essor déréglé de son imagination, lui sont estropier ses figures, & affoiblir, par le ridicule & l’invraisemblance, l’ex pression qu’il a voulu rendre forte, énergique, & qu’il n’a rendue qu’exagérée & outrée.

D’après les connoissances de l’anatomie & de la pondération, on peut se convaincre que les bras, les jambes, le corps ne peuvent comporter que certaines extensions ; mais il est moins de spectateurs encore que d’artistes en état de démontrer les bornes véritables des mouvemens du corps humain ; d’ailleurs la toile, ainsi que le papier & la preffe, souffrent tout, & il résulte de ces causes que l’outré se rencontre plus fréquemment encore dans la peinture que sur nos théâtres ; mais les acteurs qui tombent dans ce défaut, se dédommagent de l’exagération des mouvemens, qu’ils ne peuvent porter aussi loin qu’ils le destreroient, par des accens & des cris si outrés, que la réunion de ces deux excès parvient à surpasser celui des peintres outrés, qui tout au moins ne peuvent blesser les oreilles, comme ils blessent les yeux.

On pourroit se convaincre que le plus souvent, chez les uns & chez les autres, c’est la foiblesse qui les porte à se montrer plus outrés. Les peintres, dont l’imagination manque de force, croyent par l’exagération, montrer de l’énergie, comme les acteurs foibles croyent réparer, par des cris, la foiblesse de leurs moyens & celle de leur talent.

Si l’artiste & le comédien sont outrés par défaut de connoissances, ils ont la ressource de celles que l’étude & l’exercice de l’art peuvent & doivent leur donner. La crainte de ne pas réussir, la défiance de son talent, peut porter quelquefois à exagérer ; mais l’outre qui vient du caractère est, dans les arts, une sorte d’insolence, & si l’on voit quelquefois les hommes nés timides devenir hardis, l’on ne voit jamais les insolens se corriger.

Au reste, il y a une nuance assez fine à observer. Les transports des véritables passions forcent quelquefois, pour ainsi dire. bornes imposées à la nature. Il y a des circonstances où les mouvemens de l’ame ajoutent quelque chose qu’on pourroit regarder comme surnaturel, à la puissance du corps & à celle de l’esprit. Ainsi l’artiste de génie pourroit peut-être