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M O E

avant lui Aristote, & avant eux la raison avoit portée pour les Poëtes, doit être observée par les peintres : servandi sunt tibi mores,(il faut observer les mœurs.)

Il est permis de se tromper, & même de prendre quelques licences sur certains détails du costume. Ce seroit une sévèrité pédantesque de faire à un artiste de durs reproches, parce que, dans un tableau représentant quelque sujet de l’antiquité, il auroit peint une forme d’habit, de casque, de quelqu’ustensile dont on ne trouveroit pas le modèle sur les bas-reliefs ou les médailles : mais le peintre & le statuaire doivent connaître les mœurs & les usages du temps, du pays où s’est passée l’action qu’ils représentent. Une femme de l’Ionie aura des graces voluptueuses ; une femme de Sparte, l’audace d’un courage viril. II faut qu’on reconnoisse qu’elle seroit capable de dire à son fils partant pour le combat reviens avec ce bouclier, ou sur ce bouclier : parce que c’étoit une infamie de perdre cette arme, & parce que c’étoit sur leur bouclier qu’on rapportait les morts.

Les hommes même médiocrement instruits savent à peu près dans quels temps, & chez quels peuples ont brillé les richesses, le faste, les arts de luxe. Le peintre ne peut donc les tromper, & ne fait que dévoiler son ignorance, quand il suppose le luxe & la richesse dans un siécle ou chez un peuple pauvre. C’est une faute souvent d’autant moins pardonnable qu’elle est commise volontairement : les peintres croyent enrichir leurs tableaux en y prodiguant l’or, la soie, les ornemens d’un luxe recherché, comme si la richesse de l’art étoit la même que celle des nations corrompues. Ils ressemblent à ce peintre contemporain d’Apelles, qui faisoit Hélène riche, ne pouvant la faire belle. Ils couvriront d’or un général lacédémonie, dans les temps où les métaux précieux étoient éxilés de Lacédémone. Ils donneront une épée d’or, un casque d’or à Jason, à Thésée, tandis que même les rois qui assisterent au siége de Troye n’avoient que des épées enrichies de cloux d’argent, & qu’une queue de cheval faisoit l’ornement de leur casque : ils décoreront de colonnes corinthiennes la maison du souverain de la pauvre Itaque, quoique Callimaque, inventeur du chapiteau corinthien, n’ait fleuri que dans la soixante & quatrième olympiade environ 525 ans avant notre ére. Ils feront entrer la soie dans les habits des austères patriciens de l’ancienne Rome, tandis que les Romains, long-temps pauvres, ne purent connoître la soie qu’après avoir fait des conquêtes dans l’Orient. Les mœurs sont la grande partie du costume ; celle que jamais il n’est permis de négliger.

C’est encore aux mœurs que se rapporte l’expression, parce qu’il est essentiellement dans les


mœurs, que les traits & les mouvemens des hommes, s’accordent avec les actions dont ils sont occupés, avec les affections qu’ils éprouvent. Il est également dans les mœurs que l’habit, le maintien répondent à l’usage, au sèxe, à la dignité, aux fonctions des personnes, & quelquefois même aux circonstances où elles se trouvent.

Si l’artiste doit observer les mœurs, il ne doit pas moins respecter les bonnes-mœurs. Manquer au premier précepte, c’est ne montrer que de la négligence ou de l’ignorance ; enfreindre le second, c’est manifester un cœur corrompu, une âme inférieure à la dignité de l’art. On répondra que cependant des artistes respectés, Michel-Ange, Jules-Romain, ont souillé leurs pinceaux pour des peintures obcènes, & nous serons obligés d’en faire le triste aveu : mais la sagesse pittoresque de Raphaël, du Poussin, de Rubens est toujours restée sans reproche. Dailleurs, il ne faut pas confondre l’égarement passager de quelques hommes célèbres, avec le choix de quelques artistes avilis, qui semblent avoir eu pour objet principal de leur art, le dessein de corrompre les mœurs ou d’en consacrer la corruption. On ne peut heureusement faire aujourd’hui ce reproche qu’à quelques ouvriers dans un des genres subalternes de la peinture, qui trouvent d’autres ouvriers en gravure toujours prêts à multiplier leurs méprisables productions. (Article de M. Levesque.)

MOL & MOLLESSE . Un tableau mol, un dessin mol, une toucke molle sont des expressions par lesquelles on désaprouve.

La mollesse des chairs ; une certaine mollesse dans le pinceau, dans les contours sont des expressions par lesquelles on loue.

Comment rendre raison de ces différens sens ? ce qu’on peut remarquer, c’est que mol qui désigne un défaut s’applique à des objets généraux, & mollesse à des objets particuliers : un tableau mol, c’est à dire, dont l’exécution est molle, suppose dans celui qui l’a fait, un génie nonchalant, un talent privé de ressort & de vigueur. Il en est de même d’un dessin. Quant à la touche, comme elle est le signe de l’expression, de l’énergie & de l’esprit, la mollesse ne doit & ne peut lui convenir.

Venons à l’idée de la mollesse appliquée à des objets particuliers de la peinture.

La mollesse des chairs, exprime une qualité particulière, une douce fléxibilité qui caractérise la chair des enfans & des femmes.

Une certaine mollesse dans le pinceau revient au molle atque facetum qu’Horace considère comme une perfection, & dans ce point, la manière de peindre a quelque ressemblance avec la manière d’écrire.