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4£@ M A N & c’est en plaisant d’abord aux yeux, que l’art exerce ensuite son empire sur l’ame.

Mais l’artiste en possédant bien son métier, ne doit l’estimer que ce qu’il vaut, & ne le regarder que comme le moyen, & non comme le but de son art. Le peintre qui sait seulement bien manier le pinceau, & disposer des couleurs, possède un talent qui peut le faire marcher l’égal d’un fabricant d’étoffes : chacun d’eux emploie des moyens differens ; mais ils ont tous deux le même objet, celui de flatter la vue. (article de M. Levesque.)).

MANIÈRE, (subst. fém.). Ce mot se prend en deux sens : lorsqu’on dit qu’un artiste a de la manière, on entend qu’il s’est fait une pratique qui ne tient qu’aux habitudes qu’il a contractées & qui s’éloigne de la nature. Quand on dit, la manière d’un maître, on entend le caractère particulier, qui, défectueux ou louable, le distingue de tout autre artiste, comme les traits d’un homme le distinguent d’un autre homme.

Voici comment s’exprime Mengs, en parlant de la manière prise dans le premier sens. « Elle est, dit-il, une espèce de fiction ou d’imposture ; il y en a de deux sortes : l’une qui consiste à omettre plusieurs parties, & l’autre à rendre les parties d’une manière nouvelle & contraire à la nature. On trouve des exemples de l’une & de l’autre, savoir, des artistes qui, en cherchant le grand goût, ont omis tant de parties, qu’ils ont dénaturé l’essentiel de la chose même ; & d’autres qui, en voulant corriger & embellir les objets, ont fait les grandes parties beaucoup plus grandes, & les petites beaucoup plus petites : de sorte qu’ils ont passé les bornes de la nature, tant dans les formes que dans les jours & les ombres, & les autres parties de l’art. »

Ces dernières paroles indiquent assez que la manière ne consiste pas seulement dans le dessin, mais qu’elle peut se trouver, & quelle se trouve toujours plus ou moins dans la couleur, dans l’effet, dans le maniement de pinceau. Quand elle annonce seulement le caractère de l’artiste, sans s’éloigner de la vérité, elle est une dépendance nécessaire de l’art ; car chaque artiste a nécessairement sa manière de dessiner, de colorer, de peindre, comme chaque individu qui écrit a son caractère particulier d’écriture. Quand elle est fondee seulement sur l’habitude, sur l’affectation, sur l’abandon de la nature, elle est toujours condamnable, quand elle auroit même quelque chose d’agréable ou d’imposant qui lui attireroit des admirateurs.

Dans quelque sens que l’on prenne le mot


manière, celle d’un maître n’est jamais ce qu’on doit imiter de lui : c’est comme si nous voulions imiter l’attitude, le geste, la démarche d’un autre homme ; toutes qualités qui tiennent à sa conformation, & ne conviendroient pas à la nôtre.

Comme la manière d’un maître, dit M. Reynolds, que nous suivrons dans ie reste de cet article, comme, dis-je, la manière d’un maître est une particularité qui le singularise & le distingue d’un autre, qu’elle est une des parties les plus remarquables de ses ouvrages, celle qui frappe d’abord les yeux, il est facile au jeune artiste de s’y tromper, & de croire imiter ce qui fait la gloire de ce maître, lorsqu’il n’imite que le caractère individuel qui lui étoit propre, & qui ne devoit être propre qu’à lui. Cette imitation est d’autant plus déplacée, qu’on peut dire que la plus belle manière est cependant un défaut, puisque le but de l’art est la parfaite représentation de la nature, & qua c’est la nature qu’on doit retrouver dans les ouvrages de l’art, & non la pratique particulière de celui qui l’exerce. Ce défaut sera toujours plus ou moins attaché aux représentations de la nature, parce que faites par des hommes, elles recevront toujours quelque chose de ce qui leur est personnel : mais l’artiste qui cherche à imiter la manière d’un autre, y joint encore nécessairement quelque chose d’une manière qui lui est propre à lui-même, & son ouvrage qui devroit être une imitation aussi voisine de la nature qu’il est possible, se trouvera doublement manièré.

La manière d’un grand artiste, toujours défectueuse en ce qu’elle n’est pas la nature, a cependant sa beauté. Elle peut être grande, fine, hardie, mœlleuse, soignée, &c. Les admirateurs, de ce maître oublient qu’elle est un défaut, & cherchent à l’imiter, au lieu des vraies beautés qui méritent seules de leur servir de modèles. Ils oublient qu’elle est belle dans celui à qui elle est personnelle, à qui elle a été donnée par la nature ; dans celui qui n’a pu se dispenser de l’avoir, parce qu’elle tient à son organisation ; mais qu’elle perd son mérite dans le servile imitateur, qui auroit dû avoir sa manière propre, s’il avoit eu le mérite d’être quelque chose. La manière des grands maîtres est estimée, non par elle-même, mais à la faveur des beautés qui l’accompagnent.

Ce qui entraînera l’artiste dans une manière empruntée, ce sera sa ténacité à n’étudier qu’un seul maître. Il en prendra certainement la manière, & n’en prendra sur-tout que la manière. Il lui restera inférieur, parce que l’artiste qu’il a choisi pour guide, a étudié différens maîtres & la nature, & que lui-même se borne à n’étudier qu’un maître. Un homme peut mériter sans doute qu’on l’étudie ; mais aucun n’a pu