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[1]enfin, qui, détruit par la lime & le cilet dans la belle statue du Roi par Bouchardon, lui fait perdre un des principaux mérites qui l’eût fait admirer par la postérité, & que Pigale a eu le courage de conserver dans le beau monument qu’il a fait pour la ville de Reims.

Le vrai beau, dans les deux arts, doit joindre aux diverses parties de l’art, la franchise de la touche & la facilité du faire ; d’où s’ensuit, dans la peinture, la pureté des tons ; &, dans la sculpture, les graces du travail qui termine l’ouvrage & qui ne peut jamais être confié à l’élève. Quelquefois le plus grand maître a moins de correction & de justesse sévère que l’homme médiocre ([2]), mais son travail, ou rempli de force & de chaleur, ou doué de graces, donne le goût & l’ame à ce qui sort de son pinceau ou de son ciseau. On ne prétend pas que le faire soit la seule partie essentielle, mais c’est elle qui couronne toutes les autres ; & l’on croit pouvoir avancer que, quant au plaisir qui en résulte pour le connoisseur, rien ne la peut suppléer. Un artiste médiocre peut recevoir d’un grand maître la composition & les principaux effets de la lumière pour un ouvrage de peinture ; les formes générales & les principales masses pour un ouvrage de sculpture, sans qu’il en résulte une chose vraiment belle, par le défaut de ce sentiment & de ce savoir qui produisent seuls le beau faire.


Peut-être sera-t-on étonné que le faire soit considéré comme une beauté si essentielle. Il n’est que trop de gens qui, faute de le bien connoître, le regardent comme une sorte de mécanisme. C’est une erreur ; elle est particulièrement bien sentie par les artistes, & ils conviendront qu’entre un ouvrage médiocre & un excellent, il n’y a souvent que cette différence.

On en sera moins surpris, si on observe que, même dans la poësie, il y a un faire qui est extrêmement essentiel, & qui achève d’y donner toute la supériorité & la perfection dont elle est susceptible. L’at de faire facilement de beaux vers, ou du moins de donner à des vers faits difficilement, l’apparence de la facilité, celui de s’énoncer avec justesse, avec force, ou avec grace, enfin la poësie de style est-elle autre chose ? Les sentimens que Pradon donne à Phèdre, dans sa tragédie, sont à-peu-près les mêmes que ceux que Racine lui a prêtés : mais quelle différence dans la manière de les exprimer ([3]) ! Que de conteurs peuvent employer les mêmes idées que Lafontaine ! Mais, si l’on peut hasarder cette expression, combien son faire est au dessus du leur :

Pour achever de prouver cette assertion par des exemples sensibles & connus, je ne citerai que quelques ouvrages modernes. On a vu, dans une exposition publique, deux bas-reliefs imités l’un par Chardin, l’autre par Oudry. Ce dernier étoit un très-habile homme, & peignoit avec facilité : l’illusion étoit égale dans les deux tableaux, & l’on étoit obligé de toucher l’un & l’autre pour s’assurer que ce fût de la peinture. Cependant les artistes & les gens de goût n’admettoient aucune égalité entre ces deux ouvrages.

En effet, le tableau de Chardin étoit autant au dessus de celui d’Oudry, que ce dernier étoit lui-même au dessus du médiocre. Quelle en étoit la différence : si non ce faire que l’on peur appeller magique, spirituel, plein de feu, & cet art inimitable qui caractérise si bien les ouvrages de Chardin ([4]) ?

  1. faut distinguer deux genres, même dans la peinture de l’histoire ; le genre grand, expressif & pur, & le genre simplement pittoresque. Raphaël est à la tête des plus grands maîtres du premier gente, quoiqu’il ne se distingue ni par la perfection du faire, ni par l’illusion. Mais la beauté du faire & le mérite de l’exécution donnent une grande valeur à des tableaux qui, d’ailleurs, ne se distinguent par aucune supériorité de conception, d’expression, de dessin, & qui, sans le mérite du faire, seroient mis au rang des ouvrages médiocres. C’est ce genre qu’on peut appeller pittoresque, parce qu’il doit sa principale valeur à l’art de peindre proprement dit ; il n’y a rien à retrancher, pour ce genre, de ce que M. Cochin établira, jusqu’à la fin de cet article, sur l’importance du faire. Le premier gente a des beautés d’un ordre si supérieur, qu’il peut, à la rigueur, se passer des charmes de la belle exécution ; mais ces charmes ajouteroient à son mérite, au moins, ce qui est rare, quand les ouvrages de ce genre ne sont pas trop éloignés de l’œil du spectateur. Voyez les articles Expression, Gout, Idéal, Imitation. Les tableaux de fleurs, de fruits, de nature morte, &, en général, les tableaux de chevalet, exigent la beauté du faire, & obtiennent leur rang en proportion qu’elle y règne avec plus ou moins de supériorité. (Note du Rédacteur.)
  2. (1) Un maître peut être grand parce qu’il a de grandes parties de l’art, quoiqu’il ait moins de correction qu’un homme médiocre : mais un maître qui aura une grande correction ne sera pas un homme médiocre ; il sera même un grand maître par cette seule partie. Rembrandt est un grand maître sans correction ; Michel Ange est un grand maître par la correction. On entend ordinairement, par ce dernier mot, la science du dessin, (Note du Rédacteur.)
  3. (1) Si Racine eût écrit sa tragédie en prose, & qu’il l’eût donnée à Pradon pour la mettre en vers, la tragédie de Racine, versifiée per Pradon, auroit eu du succès au théâtre, parce que la poésie de style, qu’on peut appeller le faire poétique, s’y remarque foiblement, mais elle n’auroit été qu’un mauvais ouvrage à la lecture. (Note du Rédacteur)
  4. (2) Cet exemple prouve beaucoup pour le genre dont il s’agit, & dans lequel nous sommes convenus que le fairedécide la supériorité ; mais nous doutons qu’il prouve de même pour le grand genre de l’histoire, la haute poésie de la peinture, où la noblesse de la conception, la vérité de l’expression, & la beauté des formes doivent l’emporter sur toutes les autres parties de l’art. Comparons un beau tableau Raphaël, avec un autre bon tableau, mieux peint, d’un plus beau faire, & représentant le même sujet, mais inférieur de conception, d’expression & de dessin ; Raphaël perdra-t-il sa supériorité ? (Note du Rédacteur.)
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