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GOU est étrangère, qu’un aveugle ne sentira les convenances des couleurs.

Mais il ne faut pas croire que le goût même dont on a apporté en naissant l’organisation ou, si l’on veut, les dispositions, soit inné. Raphaël, né dans un village, & condamné à des travaux rustiques, n’auroit pas eu la moindre idée des convenances pittoresques, qu’il a si bien observées, & qui lui conservent le premier rang entre les peintres.

Il n’y a d’inné que les dispositions au goût ; mais le goût lui même dépend de l’étude, de la pratique, de l’expérience, de l’habitude de comparer, & de la réflexion.

S’il y a des hommes qui ne peuvent acquérir le sentiment & la pratique des convenances qui constituent les genres inférieurs de l’art, c’est qu’il y a des hommes à qui leur organisation refuse même de réussir dans les opérations les plus méchan ques. Ils suivent des écoles, ils écoutent des maîtres ; mais les grands principes de l’art ne sont jamais reçus dans leur intelligence.

Le grand principe, le principe universel des arts, n’est autre chose que celui des convenances observées, par rapport aux objets de la nature qui tombent sous le sens de la vue. Ce principe des convenances conduit les artistes à la beauté, puisque la nature s’écarte des convenances quand elle cesse d’être belle. La beauté consiste daus la juste correspondance, dans l’exacte proportion des parties, & n’est par consequent autre chose que la parfaite convenance de ces parties entre elles. Un nez trop grand ou trop petit, des yeux trop saillans ou trop enfoncés, un menton trop long ou trop court, des joues trop creuses, une bouche trop fendue, des lèvres trop plattes ou trop épaisses, sont autant de défauts de convenance qui constituent la laideur.

Ainsi la connoissance de la nature est celle de la beauté, & l’imitation de la nature qui est l’objet de l’art, est l’imitation du beau. Les difformités ne sont pas la nature, elles en sont les écarts. Raphaël a peint la nature, Rembrandt n’en a souvent peint que la dégradation, au moins dans les formes ; il a cependant une grande réputation, & justement méritée, parce qu’il a imité de grandes beautés de la nature dans la couleur, & dans les effets. Jamais la nature ne s’écarte de la beauté, qu’elle ne fasse les premiers pas vers la monstruosité. La laideur n’est formée que de l’excès ou du défaut de ce qu’exige la nature pour être elle même.

Le bon goût dans les arts peut se trouver dans les genres inferieurs, lorsque les convenances y sont bien observées. La representation d’une fêe hamêre, d’un bouquet de fleurs, d’une corbeille de fruits, de la nature morte, peut être de bon goût.


Des imitations de scènes ignobles, sont de mauvais goût par rapport au choix du sujet qui blesse les convenances générales. Mais elles peuvent être de bon gout par d’autres convenances, comme nous venons de le dire en parlant de Rembrandt. Il faut considérer alors si, le sujet une fois admis, le reste s’accorde avec les convenances.

Le grand goût suppose un grand genre. Il consiste, comme Mengs l’a défini, à choisir les grandes & principales parties de l’homme & de toute la nature, & à rejetter ou cacher celles qui sont foibles & subordonnées, lorsqu’elles ne sont pas absolument nécessaires.

Le goût mesquin s’occupe de toutes les petites parties & préfère les pauvretés qui annoncent la foiblesse & la misère de la nature aux grandes formes qui en constituent la force & la beauté.

On confond souvent, dans le langage des arts, le goût avec la manière : c’est dans ce sens que, pour désigner la manière d’une école ou d’un artiste, on dit le goût de telle école, de telle nation, de tel maître. Dans cette acception, le goût du maître est ordinairement composé plus ou moins du goût de sa nation & de son goût particulier.

Il est une partie de la manœuvre de l’art que les artistes appellent ragoût & qu’on désigne aussi par le nom de goût. Cette partie est une sorte de coquetterie ; une recherche de moyens de plaire par un maniement badin de pinceau, par des laissés, par des touches piquantes, par des agencemens d’accessoires qui, grouppés ensemble, plaisent à l’œil, & qu’on appelle quelquefois, en langage d’atteliers, un fouillis ragoûtant. Tout cela tient de fort près à ce qu’on appelle. esprit dans les arts. Voyez l’article ESPRIT.

Comme ces moyens sont petits, on sent qu’ils ne conviennent pas aux grandes choses. Ils seroient très-déplacés dans une grande fresque, puisqu’ils ne seroient pas même apperçus ; ils ils le seroient encore dans de grands tableaux ; ils donnent du prix à de petits ouvrages : mais loin d’être le goût, ils sont le témoignage d’un mauvais goût, quand ils se trouvent employés dans des sujets où ils ne conviennent pas. Un peintre qui n’est plus, & dont l’exemple & les succès auroient pu détruire le goût dans l’Ecole Françoise, a obtenu long-tems la réputation d’artiste plein degoût, pour avoir prodigué ces moyens dans tous ses ouvrages, & dans ceux mêmes où les convenances exigeoient les beautés les plus austères. Peu sensible à la beauté, trop léger pour se soumettre aux convenances même les plus nécessaires, il réduisoit son art en une sorte de libertinage. & faisoit entrer ce qu’on peut appeller le bad nage pittoresque dans les sujets où Raphael eût cherché ce que la beauté idéale a de plus sublime. Son