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G OU Enfin les singularités sont dans les arts, ce quelles sont dans la nature, c’est-à-dire le plus ordinairement, des monstres. La beauté, quoiqu’elle soit très-rare, n’est pas une singularité ; elle est la perfection des choses. La singularité n’est le plus souvent qu’une difformité ; &, dans les ouvrages des hommes, la beauté ne se soustrait pas aux loix de la raison, tandis que la singularité se fait gloire de s’en affranchir.

Je finirai par recommander aux artistes de se défier de prendre pour modèles les ouvrages qu’on appelle ouvrages de goût. Ils sont souvent manierés ; ils peuvent seduire ; mais presque toujours ils égarent ; car l’affectation & la manière qu’on nomme souvent mal-à-propos goût & esprit, ne sont que le mauvais goût & l’esprit dénué de raison.

Il est à l’égard de la peinture comme des autres arts, des hommes de goût, des juges du goût ; & pour l’ordinaire ils font partie des classes de la société qui peuvent influer par leurs opinions & leurs décisions sur le sort des arts & des artistes. Supposons que chez un peuple doux, qui auroit un penchant très-marqué à se modeler sur ceux qui jouissent des distinctions dûes aux rangs, aux titres & qu’on n’accorde que trop souvent même à la richesse ; supposons (dis-je) que le plus grand nombre des hommes distingués de cette nation fléxible se regardât comme doué d’un goûtjuste & délicat sans s’être jamais rendu compte du véritable sens de ces expressions ; supposons encore que, d’après ce don prétendu & leur distinction réelle dans la société, ils se crussent autorisés & comme obligés même à décider sur toutes les productions des arts, accoutumés qu’ils seroient à voir adopter leurs opinions, ne doit-on pas penser que les grandes convenances, bases des véritables beautés, courroient risque d’être souvent sacrifiées à des idées peu réfléchies, peu justes, à des affections du moment, à des conventions particulières, même à des caprices ; & que les conséquences de cet abus seroient peu-à-peu funestes aux arts, aux lettres & au bon goût ?

On pourroit leur dire en général, sans avoir intention de les blesser, mais pour leur avantage & pour celui des arts, que le bon goût, & les convenances qui en sont les principes, ont des droits plus anciennement fondés que ceux qui ne sont dûs qu’aux rangs, aux titres & à la richesse ; que ces droits commandent à tout le monde & ne peuvent réellement être asservis à personne.

Que les principes des arts, & de tout ce qui y a rapport exigent que, pour les connoître, on les médite, on les discute avec ceux qui joignent la pratique à une saine théorie ; & que ces hommes sont les vrais supérieurs à cet égard.


Croyez même, pourroit-on ajouter, que si quelques artistes, par intérêt ou pour briguer votre faveur, ont la foiblesse de vous tromper en vous flattant, ils ne vous apprécient pas moins en secret à votre désavantage. Persuadez-vous donc que les moyens de devenir vraiment hommes de goût ne sont pas de protéger avec une affabilité d’autant plus orgueilleuse qu’elle est plus familière, de répandre avec prodigalité des libéralités plus fastueuses que justes, de savoir employer assez adroitement & d’un ton imposant des mots, des phrases vagues ; mais que pour s’instruire, après avoir bien lu & médité, il faut bien voir, bien comparer ; c’est-àdire voir (en disciple) opérer les hommes instruits, & les écouter après les avoir interrogés ; que c’est ainsi qu’on acquiert le droit de juger, d’encourager, d’aprécier les talens, & qu’il faut encore que la modestie qui est au-dessus des prétentions, & la défiance de soi, plus noble que la confiance de l’orgeuil, s’établissent les conservatrices du trésor de vos connoissances (Article de M. Watelet.)

Gout. Ce mot qui ne désigne dans son origine que les sensations de la langue & du palais, a pris une signification bien plus étendue. Comme c’est le sens du goût qui juge la saveur des alimens, on a emprunté son nom pour désigner cette qualité de l’esprit qui juge du mérite des ouvrages dans les lettres & dans les arts. D’abord on avoit du goût pour juger la bonté d’un mêt ; on a eu ensuite du goût pour juger la bonté d’un livre, d’un tableau, la beauté d’une étoffe, celle d’une voiture, d’un ameublement, & pour prononcer même sur toutes les inutilités, toutes les bizarreries que peuvent créer le luxe, la mode, & quelquefois la dépravation du goût.

Le goût ayant donc été adapté à tout, & tout le monde se piquant d’en avoir, ce mot a été si souvent employé, & si souvent mal appliqué, qu’il a fini par n’avoir plus qu’une signification vague, & quelquefois même inintelligible. Nous allons tâcher de la déterminer.

Il semble que le goût ne soit autre chose que le sentiment des convenances. Ce qui choque le gout dans quelque chose que ce soit, c’est ce qui s’écarte des contenances de cette chose. Les souliers à la poulaine, que portoient nos ancêtres, étoient de mauvais goût, parce que le pied de l’homme ne se termine point par une longue pointe relevée, & qu’un vêtement doit convenir à la forme de ce qu’il revêt. Les vertugadins dont les femmes le paroient au seizieme siécle, étoient de mauvais goût, parce que la taille d’une femme ne se termine pas en forme de tonneau. Une étoffe dont le dessin est trop chargé est de mauvais goût, parce que la confusion est un défaut dans la nature. Il veut y avoir du mauvais goût dans