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vement d’une âme chaude, rapide, élevée, quelque fois même exaltée, qui ne marche point en comptant les pas, mais qui s’élance & qui vole.

Si le génie montre de l’ordre dans les productions, cet ordre est l’effet de sa nature particulière, ou d’études, dont il ne se rend pas compte au moment où il les applique le plus heureusement. Il brille comme la lumière qui ne donne aucun indice de ce qui la produit.

C’est sans doute à cause de l’indécision du sens de ce mot, qu’il est si souvent employé dans la langue ; car on peut observer que ce sont les expressions qu’on auroit plus de peine à bien définir, dont on se sert davantage. C’est qu’on croit d’après l’idée vague qu’on en a, pouvoir les appliquer à un nombre infini de conceptions également indéterminées qui se présentent à nous sans cesse, principalement dans la conversation.

Mais c’est sur-tour lorsequ’on parle des arts & des talens qu’on prodigue plus libéralement le mot génie.

Un jeune Auteur compose-t-il des vers avec facilité ? L’esprit se fait-il appercevoir dans ses productions précoces ? Y remarque-t-on de la finesse ? S’éloigne-t-elle même da naturel & de la simplicité ? On assigne à ce jeune auteur le don du génie de la Poësie. Quelquefois pour être place parmi les hommes de génie, il suffit, au poëte de savoir lire d’une manière séduisante ses vers barbares : mais ce grand homme éphémère, meurt à l’instant même où ses ouvrages paroissent au grand jour, & le silence de ceux qui lui ont décerné la couronne du génie se confond avec le silence public.

De même un artiste montre-t-il quelques heureuses dispositions ? Fait-il même avant de savoir dessiner des croquis où le feu de la première jeunesse se montre ? (Et s’il étoit froid à cet âge ; que seroit -il ?) On s’écrie qu’il a un talent marqué, & qu’il est né peintre. Un sculpteur, un musicien compositeur, un architecte, sont ainsi proclamés sur des essais, comme grands hommes futurs. On a un plaisir, trop souvent malin, de prédire des succès qu’on oppose d’avance á des talens dont la célébrité importune. On laisse à l’envie qui ne meurt pas, le soin de disputer lorsqu’il en sera tems à ces nouveaux athletes, les lauriers dont on les couronne.

Ce manège de la foiblesse humaine est peut-être plus fréquent & plus sensible chez une nation vive, même légère, que parmi celles qui sont moins changeantes dans leurs affection ; mais il ne met que plus d’obstacles aux progrès, & n’offre que plus de danger à ceux qui se consacrent aux arts.

En effet, si l’on enivre les jeunes talens, ils s’endorment ou s’énervent avant l’âge de leur véritable force.


D’une autre part, lorsque l’on s’arme contre le petit nombre des hommes qui annoncent du génie, on cause à leurs ames des peines dont l’amertume en altère souvent le germe.

C’est la foule des talens avortés qui s’élève surtout contre ceux qui atteignent les grandes proportions ; & le public qui desire si ardemment les beaux ouvrages des arts, ne semble cependant accorder qu’à regret un prix à des chefs-d’œuvre dont, par cette injuste sévérité, il paroîtroit vouloir se priver contre son propre intérêt.

Quant à cette injustice, il reste au moins à ceux qui l’éprouvent un appel à la postérité, & pour consolation, un sentiment intérieur de leur mérite, qu’il ne faut pas confondre avec la sotte présomption. Qu’on le nomme, si l’on veut, noble orgueil ; mais il n’est pas plus blâmable dans les hommes de génie, que la conscience de la vertu dans ceux qui en sont doués.

Au reste le plus grand danger des louanges anticipées est pour les jeunes talens ; car s’ils sont profondément attaqués par le poison des louanges prématurées dont l’effet pernicieux est presque inévitable, ils succombent tôt ou tard, comme je l’ai dit, ou tant qu’ils existent, ils conservent des marques sensibles du mal dont ils ont été frappés.

Faut-il donc retenir un sentiment dont on peut-être affecté de bonne foi, & refuser de donner des encouragemens par lesquels on pense sincèrement aider aux succès des jeunes talens ? Oui sans doute l’on devroit s’y refuser souvent, ou de moins s’imposer une circonspection utile, surtout lorsqu’on ne s’est pas rendu compte de ce qui peut donner du fondement aux espérances d’un véritable talent & distinguer de l’éclat d’un feu passager les étincelles du véritable génie.

Liberté, hardiesse, nouveauté ; voilà assez ordinairement les caractères qui nous trompent ; car ces signes n’annoncent pas toujours le génie, quoiqu’on ne puisse disconvenir, qu’il est plus frequemment désigné par ces signes caractéristiques de l’esprit, que par ceux qui montrent l’asservissement aux opinions, la timidité dans la marche & le penchant à l’imitation.

Le génie dans la peinture (car il faut se fixer principalement à l’objet de cet ouvrage) trouve plusieurs moyens de se produire ; & le phœnix des artistes seroit celui qui les mettroit tous en usage avec un égal succès.

Mais si cette universalité de perfections n’est pas absolument nécessaire pour obtenir le titre d’homme de génie, il est cependant des parties qui appartenant de plus près aux facultés spirituelles de l’âme, donnent plus de droits à l’obtenir.

Les parties qui inspirent une égale considé-