viens d’indiquer, d’après les gravures que Marc-Antoine, Augustin de Venise, & d’autres, nous ont données des ouvrages de ce grand maître, quoique l’expression y soit nécessairement affoiblie….. »
« L’objet qu’il a eu principalement en vue, c’est l’invention, & l’invention consiste dans l’expression de la vérité. Toutes les figures de ses tableaux sont ce qu’elles doivent être, & ne sauroient servir à exprimer une autre passion. Le caractère pensif, le triste, le gai, le furieux, sont tous également bien rendus. Il n’a pas seulement donné l’expression convenable à chaque figure, mais le sujet entier & ses différentes épisodes ont les caractères requis pour servir d’accessoires à la figure principale. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est la variété qu’il a su mettre dans une même expression, & le jugement qu’il a montré, en se servant tantôt de plusieurs figures pour rendre une seule expression ; & tantôt d’une seule partie d’une figure : le tout suivant que l’exigeoit le sujet, & non pas au hasard, & par un simple luxe d’imagination, mais selon la véritable dignité, & selon que la force de l’expression le demandoit. »
« Il offre des variétés sans contrastes recherchés, des passions violentes sans grimace & sans bassesse. Il a même connu l’expression de l’ame & ses effets sur les tendons des différentes parties du corps, qu’il a quelquefois exprimés par le seul mouvement d’un doigt. Il a su faire usage aussi des choses qui n’étoient bonnes que parce qu’il savoit les employer à-propos, & qui auroient fait un mausvais effet ailleurs. Aucun artiste n’a su trouver comme lui le juste degré du ni plus ni moins de mouvement que l’ame produit sur le corps. Trop souvent, au lieu de personnes animées par une passion grande & sorte, on a fait des espèces de frénétiques, & pour rendre les mouvemens d’une ame tranquille & sage, on a peint des figures froides & insensibles. »
« Communément la première chose sur laquelle les artistes fixent leur attention préférablement à toutes les autres, c’est l’agencement & la composition de chaque figure, selon le contraste & les règles de l’art : Raphaël, au lieu de suivre cette méthode, se représentoit d’abord à l’esprit toutes les parties telles qu’il convenoit qu’elles fussent pour concourir à l’expression générale ; ensuite il pensoit à l’objet principal de son sujet ; & enfin à chaque figure en particulier : il n’en plaçoit aucune sans avoir examiné auparavant quelles étoient celle qui devoient paroître le plus, en commençant toujours par les parties qu’il vouloit faire agir pour exprimer la passion, & en laissant plus ou moins oisives
celles qui n’étoient pas utiles à cette expression. Il a su exprimer la simplicité d’esprit, le recueillement, & toutes les passions tant intérieures qu’extérieures. J’entends par passions intérieures, celles que le peintre doit exprimer par les moindres parties & les membres les plus délicats, tels que le front, les yeux, les narines, la bouche, les doigts, &c. Les passions extérieures sont celles qui se manifestent par des mouvemens violens, qui sont les effets d’une passion spontanée ou portée à l’excès. »
« Raphaël a eu soin aussi de ne représenter jamais, ou du moins que très-rarement, une action achevée : j’appelle une action achevée, lorsqu’il ne reste plus rien à faire pour la terminer. Par exemple, une personne qui marche, quand elle a fait un pas & posé le pied, ne peut plus faire autre chose que de recommencer cette même action ; & cette attitude ne fera pas un aussi grand effet dans un tableau, que celle d’une figure représentée actuellement en action, & qui n’a pas encore achevé le pas : c’est que, par ce moyen, on laisse travailler l’imagination du spectateur qui s’apperçoit aisement que la figure doit finir le mouvement actuel, & ne peut pas rester immobile, comme celle qui a fini ce mouvement, & qui peut demeurer tranquille sans en faire un autre. Une figure dont l’action est terminée, reste oisive & sans occupation. »
« Raphaël a employé une finesse de l’art peu connue des artistes vulgaires ; c’est la méthode de cacher avec adresse une partie du corps, telle qu’une main, un pied, &c. : car on ne peut pas dire qu’il n’a pas montré ces parties, parce qu’il n’a pas su les bien faire ; mais il ne s’est servi de cette sage économie, que pour ne pas montrer des parties qui seroient restées oisives, ou qui auroient ôté aux parties principales quelque chose de leur beauté. Il a souvent aussi caché certaines parties, à cause du mauvais effet qu’elles auroient produit avec une autre partie qu’il vouloit faire paroître. Ce qui prouve cette idée, c’est qu’il n’a pas fait usage de cette méthode dans ses figures principales, mais seulement dans celles qui pouvoient souffrir quelque négligence apparente. » (Extrait des œuvres de Mengs.) »
Nous avons rendu compte des observations faites par le Brun, dans une conférence de l’académie, sur la composition du tableau de la manne donnée aux Israélites dans le désert, par le Poussin. Nous avons promis alors de revenir sur cet ouvrage de l’art, pour montrer, par un bel exemple, comment toutes les figures d’un tableau doivent concourir, par leurs expressions, à l’effet que le peintre veut produire.