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n’est point une vessie dont la membrane s’étende au gré du souffleur. Enfin c’est dans l’état présent où est ce cheval, & non dans celui où l’on suppose qu’il a été, qu’on le juge, que tant de gens crient au chef-d’œuvre, & que tant d’autres répétent les cris sans savoir, pourquoi »

Quoique le dictionnaire des arts ne soit pas destiné à la description des ouvrages de l’art, on croit pouvoir se permettre ici quelques lignes sur la statue équestre érigée à l’empereur Pierre le Grand à Petersbourg, parce qu’on en a beaucoup parlé dans toute l’Europe, & souvent avec trop peu de connoissance, & parce qu’elle se distingue par deux particularités ; celle de sa composition & celle de sa bâse.

On fait que toutes les statues équestres sont posées sur un socle, qui forme un quarré long : le cheval paroît marcher au pas sur ce socle.

Mais M. Falconet, auteur du monument de Pétersbourg, avoit à représenter un héros qui passe pour le créateur de la Russie : on croit communément que sa vaste domination n’étoit peuplée que d’espèces d’animaux sauvages dont il a su faire des hommes. Le sculpteur-poëte, car les arts sont une poésie, a saisi cette idée favorable à son art, quoiqu’historiquement elle ne soit pas d’une exacte vérité ; il a su donner à son ouvrage une vie, un mouvement qui manque en général aux monumens de ce genre, en indiquant au spectateur, par un symbole ingénieux, les obstacles que le Prince avoit à surmonter. Il l’a représenté gravissant à cheval une roche escarpée. Ainsi la composition est allégorique, & par une heureuse conception, c’est le héros lui-même qui est le symbole de l’allégorie.

Pierre le Grand avoit eu lui-même une idée â-peu-près semblable ; il s’étoit fait graver sur un cachet sous la figure d’un sculpteur qui forme la Russie dans un roc encore brut. La pensée de l’artiste est plus noble que celle de l’empereur ; mais d’ailleurs elle offre le même sens.

M. Falconet a saisi pour l’instant de sa composition celui où le cavalier, arrivé au sommet du roc, arrête son cheval qui en est à son dernier pas & qui exprime d’une manière sensible ce moment d’immobilité par lequel le galop se termine nécessairement. La tête du héros, ceinte d’une couronne de laurier, est fière & imposante, sa main protectrice ‘semble s’étendre sur son empire ; son air, son maintien, sont majestueux, mais n’ont rien de terrible : sous la dignité d’un maître, on reconnoît un père. Son vêtement, simple & pittoresque, a l’avantage de ressembler en même temps à celui qu’avoient adopté les anciens statuaires de la Grèce & de Rome & de rappeller celui des Russes. Un manteau doublé de pelleterie détruit artistement ce que cet habit pourroit avoir de trop simple. Le cheval est plein de feu, & semble le souffler par les narines ; il réunit à la beauté des formes & à la finesse apparence de toute la vigueur qui étoit nécessaire à l’action qu’il vient de terminer. Il foule dans sa course le serpent de l’envie.

On a écrit loin de Pétersbourg que le rocher qui sert de base à ce monument est hérissé de pointes qui doivent empêcher de voir plusieurs parties de la statue ; que le cheval a devant lui une montagne & un serpent à la queue. Ces erreurs bizarres de quelques écrivains n’ont sans douté trompé personne.

La tête du héros est l’ouvrage de Mademoiselle Collot, élève & ensuite bru de M. Falconet. Il lui confia cette importante partie du monument dont il étoit chargé, parce que, par une rare modestie, après avoir fait lui-même un portrait qui avoit répondu à sa réputation, celui du savant Camille Falconet, il crut cependant que son élève lui étoit supérieure en ce genre. L’histoire des arts ne nous avoit conservé jusques-là que le nom d’une femme qui eût pratiqué la sculpture ; elle se nommoit Properzia Rossi, elle etoit de Bologne, & florissoit dans le seizième siècle. Persécutée & calomniée par un artiste jaloux nommé Amico, elle abandonna son talent & mourut de douleur.

M. Falconet croyoit d’abord que son rocher seroit construit de pierres de rapport, & il avoit déjà fait les modèles de toutes les coupes : mais on lui proposa un rocher véritable de granit, & il n’hésita pas à préférer cette base qui seroit plus durable., Il fallut transporter cette masse énorme dans un espace d’une lieue & demie par terre & de trois lieues & demie par eau. On sait que les anciens ont fait des efforts encore plus étonnans ; mais ils ‘n’avoient pas encore eu d’imitateurs entre les modernes. Ceux qui voudront connoître les moyens mécaniques qui furent employés pour remuer & transporter cette masse, peuvent consulter le livre intitulé : Monument élevé à la gloire de Pierre le Grand, ou Relation des travaux qui ont été employés pour transporter à Péterabourg un rocher de trois millions destine à servir de base à la statue équestre de cet Empereur, par le Comte Marin Carburi de Céphalonie. Grand in-fol., Paris, Nyon, 1777.

Quand ce rocher fut trouvé, il pesoit environ cinq millions. L’artiste en fit retrancher deux sur la place, ainsi le bloc pesoit encore trois millions pendant le transport. Sa dimension ètoit de 37 pieds de longueur sur 21 de largeur, & 22 de hauteur. M. Falconet lui a laissé sa largeur vers la base, mais en la réduisant jusqu’au haut par un ralus qui, conduisît l’œil au plan sur lequel pose le cheval : ce plan n’a qu’environ huit pieds, de largeur. Comme il falloit que le cheval gravît une pente, accessible, les trente-sept pieds ‘de longueur du roc ne