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Mais M. Bachelier voulut porter ses recherches plus loin. Il fit du savon avec de la cire, parce que l’on peut en faire avec tous les corps gras ; il fit dissoudre ce savon dans l’eau, broya ses couleurs avec cette eau de savon, & peignit sur le taffetas & la toile. Après avoir peint, il fit chauffer & bouillir les couleurs de ce tableau peint au savon, & annonça qu’il avoit trouvé l’encaustique des Grecs, puisqu’il peignoit avec de l’eau de cire (car c’est ainsi qu’il nommoit cette eau de savon) & qu’il faisoit brûler sa couleur. Il donna pour preuve de sa manœuvre quelques tableaux, dont l’un représentoit une femme caressant une levrette, l’autre une tête de profil, &c. Ces tableaux, qui furent ensuite exposés au sallon, étoient gris & ressembloient presque à une gravure en manière noire, enluminée avec des couleurs sales ; mais quand cette invention eût été encore plus mauvaise, M. Bachelier méritoit toujours la reconnoissance qu’on doit à ceux qui veulent bien se donner la peine da faire des recherches. N’enrichit-on pas les arts, lors même qu’on apprend à ne pas perdre le temps à faire des tentatives dont la réussite ne seroit pas heureuse ?

Malgré le peu de succès des essais précipités de M. Bachelier, on crut pourtant devoir annoncer sa découverte au public. Un auteur anonyme composa, ([1]) fit imprimer & distribuer rapidement une petite brochure intitulée : Histoire & secret de la peinture en cire. Ce fut à la fin du mois de mars ou au commencement d’avril 1755 que cet ouvrage parut, c’est-à-dire cinq mois après que le tableau de MM. de Caylus & Majault fut rendu public. L’auteur de cette petite brochure, qui vraisemblablement ne vouloit pas se rendre caution de ce qu’il avançoit dans son ouvrage, ne jugea pas à propos d’y mettre son nom.

Cet écrivain, après y avoir insulté M. de Caylus en le confondant avec les gens à secrets, (ce qu’il ne mérite assurément pas) car il n’est personne qui soit plus communicatif & qui emploie plus généreusement son temps & sa bourse au progrès des arts, cet auteur, dis-je, avance :

1°. Que l’encaustique de M. de Caylus n’est point l’encaustique des Grecs, puisque sa peinture ne s’opère qu’avec de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine.

Mais quelle a dû être l’humiliation de l’auteur, lorsqu’il aura lu l’ouvrage de MM. de Caylus & Majault, dans lequel on trouve quatre manières de peindre sans le secours de l’essence de térébenthine !


2°. Que la possibilité de faire des tableaux avec de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine n’est pas une découverte, parce que M. Bachelier avoit déjà peint un tableau de cette manière en 1749. Que ce tableau, que personne n’a vu, fut emporté en Alsace.

Où est la preuve de ce fait ? Pourquoi M. Bachelier, lors de lecture du mémoire de M. de Caylus à l’académie de peinture en 1753, ne dit-il rien de son tableau de 1749 ? Quand même ce que l’auteur rapporte seroit vrai, il eût fallu se taire de peur de se faire accuser de mensonge.

3˚. Que M. Bachelier devoit la connoissance de la dissolution de la cire dans l’essence de térébenthine à des enfans qui, en 1749, jouoient avec une boule de cire au lieu de volant ; que cette boule de cire alla tomber tout juste dans un godet où il y avoit de l’essence ; que le lendemain M. Bachelier trouva la boule dissoute, broya des couleurs avec cette cire, & peignit un tableau dont il put à peine se défaire ; qu’il abandonna cette peinture, & la reprit en 1755.

Encore une fois, pourquoi M. Bachelier ne se ressouvint-il pas de cette histoire, lorsque M. de Caylus lut son mémoire à l’académie de peinture en 1753, & ne la révéla-t-il qu’en 1755 ? Ne devoit-il pas dire alors qu’il ne falloit pas tant ridiculiser le projet de peindre avec la cire ? car plusieurs en badinèrent.

4°. Que M. Bachelier, d’après quelques teintures brouillées de chymie & de nouvelles tentatives dont le résultat fut de faire un savon de cire avec le sel alkali, comme on le fait avec l’huile, ([2]) le suif, & enfin avec tous les corps gras, fit dissoudre ce savon dans l’eau, broya les couleurs avec cette eau de savon, peignit & employa le feu pour fixer la couleur, & l’anonyme conclut que c’est là la manière qui ressemble le plus à la peinture des Grecs, puisque l’on peint avec de la cire & des couleurs, & qu’il faut le feu pour fixer la peinture.

Je conseillerois volontiers à celui qui voudroit peindre avec des couleurs délayees avec l’eau de savon ordinaire, qui est faite avec de l’huile, de dire qu’il peint à l’eau d’huile, ou qu’il peint à l’huile : cette manière de parler ne seroit pas plus impropre que de dire qu’on peint à l’eau de cire. Il pourroit dire aussi qu’il peint au sel, car il entre du sel dans le savon. Prétendre que la peinture encaustique des Grecs se pratiquoit avec du savon de cire, c’est en ignorer absolument

  1. (1) Quelques-uns ont prétendu que cet ouvrage étoit de M. Diderot ; mais cette calomnie n’a pu être suggérée que par l’envie. Nous sommes convaincus que M. Diderot se respecte trop à tous égards pour prêter sa plume à l’indécence & au mensonge.
  2. (2) Quelques gens mal intentionnés ont prétendu que M. Rouel avoit donné le conseil à M. Bachelier de faire du savon avec de la cire, pour imiter les grecs ; mais ce chymiste est trop éclairé pour ne savoir pas qu’une peinture faite avec du savon quelconque n’a pas plus de solidité qu’une peinture faite en détrempe, qui n’a pas la propriété de remplir les vues que les grecs se proposoient, c’est-à-dire, de faire une peinture qui pût résister à l’eau.