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ECO

elles sont courtes, les formes outrées ou maigres, les emmanchemens lourds, les extrêmités trop petites ou trop grandes, & toutes manquent dans les proportions. » « Il n’a dû son talent qu’a la nature, & à son instinct. S’il a quelquefois approché du beau, ç’a été moins par réflexion que par hazard, & par son assujettissement à suivre pas â pas la nature. Il ne faut pas croire que n’ayant pas été à Rome, il n’ait pas connu les grands maîtres d’Italie : il avoit sous les yeux d’amples recueils qui auroient dû changer sa manière, ou du moins la corriger ; mais il admiroit tout & ne profitoit de rien. » « A voir la touche hardie des ouvrages de ce maître, on est tenté de croire qu’il travailloit promptement ; mais l’incertitude où le laissoit, sur le choix des attitudes & du jet des draperies, son peu d’usage & de connoissance des belles choses, lui faisoit perdre le feu de ses idées. Il changeoit quatre & cinq fois la tête d’un portrait, & on eût renoncé à se faire peindre, si la vérité & la force de son pinceau n’eussent pas dédommagé de l’impatience que causoit souvent le peintre. » « Rembrandt est en même-tems un dessinateur médiocre, & un peintre qu’on peut égaler aux plus grands maîtres pour la couleur, la touche, & le clair-obscur. Il semble qu’il eût inventé l’art, si l’art n’avoit pas été trouvé. Il s’étoit fait des règles & une pratique sûre de la couleur, de son mêlange, & des effets des différens tons. Il aimoit les grandes oppositions de la lumière aux ombres, & il en pouffa loin l’intelligence. Son attelier étoit disposé de façon que, d’ailleurs assez sombre, il ne recevoit la grande lumière que par un trou, comme dans la chambre noire : ce rayon vif frappoit au gré de l’artiste sur l’endroit qu’il vouloit éclairer. Quand il vouloit ses fonds clairs, il passoit derrière son modèle une toile de la couleur du fond qu’il jugeoit convenable, & cette toile participant au même rayon qui éclairoit la tête, marquoit sensiblement la dégradation que le peintre augmentoit suivant ses principes. » « La façon de faire de Rembrandt est une espèce de magie. Personne n’a plus connu que lui les effets des différentes couleurs entr’elles, n’a mieux distingué celles qui sont amies de celles qui ne se conviennent pas. I1 plaçoit chaque ton en sa place, avec tant de justesse & d’harmonie, qu’il n’étoit pas obligé de les mêler & d’en perdre la fleur & la fraîcheur. Il préféroit de les glacer de quelques tons qu’il glissoit adroitement par-dessus pour lier les passages des lumières & des ombres, & pour adoucir des couleurs crues & trop brillantes. Tout est chaud dans ses ouvrages ; il a su par une entente, admirable du clair-obscur, produire presque toujours des effets éclatans dans ses tableaux. » « Il ébauchoit ses portraits avec précision & avec une fonte de couleur qui lui étoit particulière : il revenoit sur cette préparation par des touches vigoureuses, & chargeoit quelquefois les lumières d’une telle épaisseur de couleur, qu’il sembloit vouloir plutôt modeler que peindre. On cite de lui une tête où le nez a presqu’autant de saillie que le nez naturel qu’il copioit. »

On parle beaucoup de ce nez saillant, mais aucun de ceux qui en parlent ne dit l’avoir vu, & l’on peut prendre ce récit pour un conte ou pour une forte exagération. Il est certain du moins que Rembrandt étoit fort loin de peindre d’une manière lisse & léchée. Quelques personnes blâmoient devant lui sa manœuvre heurtée : « un tableau, leur répondit-il brusquement, n’est pas fait pour être flairé, l’odeur de la peinture n’est pas saine. »

Il y eut cependant un temps où il finissoit ses tableaux autant que Miris, & il joignoit à ce grand fini tout le feu, toute la force qu’on admire dans ses ouvrages heurtés. L’amour du gain le fit changer de pratique, & le caprice lui fit souvent outrer sa nouvelle manière. Quelquefois il s’attachoit à finir avec le plus grand soin les parties les plus indifférentes du tableau, & il se contentoit d’indiquer les autres par quelques traînées de brosse. Ceux qui lui demandoient des tableaux auroient été mal reçus à se plaindre de ces bizarreries, qu’il prétendoit quelquefois ériger en principes. « Un tableau est fini, disoit-il, quand l’auteur a rempli le but qu’il s’est proposé. »

Telle est la puissance d’un grand talent dans quelques parties de l’art, que Rembrandt, avec ses énormes défauts, doit être compté parmi les plus grands peintres, & qu’on pourroit même le regarder comme le premier des peintres, à ne considérer que la peinture proprement dite, & la détachant de l’art du dessin qui lui est si intimement associé. Il faut observer que si Rembrandt ignoroit ou négligeoit des parties essentielles de son art, il connoissoit l’expression, qui seule peut animer les ouvrages des artistes. Ses expressions ne sont pas nobles, mais elles sont vraies, vives & savantes.

Il mérite une place honorable parmi les graveurs. Il y a de lui des estampes dont le travail est singulièrement négligé, d’autres où il n’est qu’égratigné, d’autres encore, & ce sont les plus recherchées des amateurs, où il ne peut être distingué, & où il n’a par conséquent de valeur, que celle de l’effet qu’il produit : mais Rembrandt est admirable dans des têtes gravées où sa pointe a tout le charme, tout l’esprit de celle de Labelle avec une science supérieure.