Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/365

Cette page n’a pas encore été corrigée
224 ECO ECO


destinés à plaire aux yeux, & qu’ils ne doivent négliger aucuns moyens de séduction, parce qu’ils ne peuvent attacher par aucun intérêt puissant ; mais que le genre de l’histoire doit user avec modération de ces prestiges, parce qu’ayant assez de dignité pour maîtriser la penseé, il doit rejetter tout ce qui peut la distraire. Mais il ne sentit peut-être pas assez qu’elle doit assurer par l’effet l’impression qu’elle veut produire, & que le ton du tableau doit en fortifier l’expression.

Il employa huit ans à décorer le palais Farnèse, ne recevant que dix écus par mois. Quand l’ouvrage fut entièrement terminé, on lui apporta cinq cens écus. Le Carrache, né dans la pauvreté, & accoutumé à une vie pauvre, avoit pour l’argent un mépris très-sincère dont il donna plusieurs fois les preuves les moins équivoques : mais il regarda la foiblesse de la récompense qu’il recevoit comme un témoignage du mépris qu’on faisoit de ses talens, & cette injure le plongea dans une mélancolie qui abrégea ses jours. Il mourut à Rome en 1606, âgé de quarante-neuf ans.

On a souvent confondu les ouvrages des différens Carraches, parce qu’il y avoit une grande ressemblance dans leur manière, sur-tout avant qu’Annibal se fût établi à Rome. Cependant chacun d’eux avoit un caractère marqué qui peut le faire reconnoître. Louis avoit moins de feu, mais plus de grace & de grandiosité ; Augustin plus d’esprit dans la conception, plus d’agrément dans l’exécution ; c’est de lui qu’est, dans la galerie Farnèse, le tableau qui représente Galathée entre les bras d’un triton, & celui d’Aurore & de Céphale ; Annibal se caractérise par plus de fierté, par un dessin plus profond, une expression plus vive, une exécution plus ferme.

M. Raynolds qui a vu à Bologne les ouvrages de Louis marque pour ce peintre un goût de prédilection. Il l’offre sur-tout comme le premier modèle dans ce qu’il appelle le style en peinture, & qui n’est autre chose que la faculté de disposer les couleurs de manière à exprimer nos idées ou nos sentimens, comme les paroles ont la même destination dans le discours. « Louis Carrache, dit-il, est celui qui, dans ses meilleurs ouvrages, semble approcher le plus de la perfection dans cette partie ; ses jours & ses ombres, larges sans affectation ; la simplicité de son coloris qui, ménagé avec intelligence, ne distrait pas le regard de l’objet qui doit l’occuper ; l’effet imposant de ce demi-jour qui semble répandu sur toutes ses productions, conviennent mieux, selon moi, aux sujets graves & majestueux que ce brillant plus factice de la lumière du soleil dont le Titien a éclairé ses ouvrages. Il est malheureux que les productions de Louis, dont je crois l’étude si utile aux élèves ne se trouvent qu’à Bologne. Ses ouvrages sont dignes de fixer l’attention des jeunes artistes, & je crois que ceux qui voyagent devraient prolonger plus qu’ils ne le sont ordinairement leur séjour en cette ville. »

Annibal, entre les grands maîtres, est compté parmi ceux qui peuvent servir de modèle pour la science & la beauté du dessin : c’est pour cet objet d’étude que les figures feintes de stuc qu’il a représentées dans la galerie Farnèse sont préférées à ses tableaux. Ceux qui le blâment d’être devenu moins coloriste à Rome qu’il ne l’avoit été à Bologne, doivent cependant reconnoître que c’est a sa seconde manière qu’il doit sur-tout le grand nom dont il jouit. Les critiques sévères trouvent que son dessin est trop peu varié dans les formes ; qu’il excelloit seulement dans la beauté mâle ; qu’en imitant les formes des statues antiques, il en a quelquefois approché, mais sans être parvenu à la sublimité des idées & du style qui formoit le caractère des anciens, en sorte qu’il a bien imité l’extérieur de leur manière, mais qu’il n’a pas pénétré l’intérieur de cet admirables artistes, ni les raisonnemens profonds qui les déterminoient.

Les succès d’Annibal & sa gloire bien méritée ont peut-être été nuisibles à l’art. La plupart des artistes qui sont venus après lui, séduits par son mérite & sa réputation, se le sont proposé pour objet de leurs études au lieu de remonter principalement aux maîtres qui avoient été les siens, & qu’il n’avoit pas égalés. Il en est résulté qu’eux-mêmes ne sont pas devenus les égaux d’Annibal, & qu’ils ont chargé ses défauts sans atteindre à ses beautés ; qu’ils se sont plus attachés aux formes qui indiquent la vigueur, qu’à celles qui produisent la grace ; qu’ils ont négligé l’expression des affections interieures pour l’imitation des formes extérieures, au lieu de faire contribuer les formes extérieures à exprimer les affectations de l’âme, & qu’ils ne se sont pas élevés enfin aux sublimes conceptions de Raphaël. Dans l’école Françoise, le Brun s’étoit formé sur les ouvrages originaux d’Annibal, le Sueur n’avoit guère pu étudier Raphaël que par des estampes faites d’après ce maître ; & cependant il l’emporta sur son émule dans le genre de beauté qui intéresse l’ame & dans l’expression des mouvemens intérieurs qui l’affectent.

L’ÉCOLE FRANÇOISE, est si différente d’elle-même dans ses différens maîtres, & il y a eu, s’il est permis de parler ainsi, tant de différentes écoles dans cette école, qu’il est bien difficile de la caractériser. Entre ses artistes les uns se sont formés sur des peintres Florentins ou Lombards ; d’autres ont étudié à Rome la


manière