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chez les peuples plus avancés dans le luxe, distinguent les rangs & les grades & la faveur.

On peut encore reconnoître deux causes qui produisent ce qu’on nomme décoration.

Premierement tout espace, toute superficie, tout objet absolument uniforme, déplaît à l’homme, parce que l’uniformité laisse son ame dans une sorte d’inertie qu’il a peine à supporter. C’est pour en sortir qu’il modifie ce qui la cause, & c’est delà que lui vient l’idée de décorer les parois trop monotones de son habitation, de chamarer son vétement, de tracer des figures sur ses ustensiles, de planter des fleurs en compartimens dans le terrein nud qui s’offre sous ses yeux.

En second lieu, laissant à part l’éloignement que l’homme éprouve pour l’uniformité, il est encore excité à la variété, & par conséquent à la décoration par l’exemple que lui offre la nature & par son propre penchant à imiter ; aussi le sauvage adapte-t-il à quelque partie de son vêtement la variété de couleurs que la nature a distribuée elle-même sur le plumage des oiseaux, les formes & les nuances que lui présentent les poissons, la peau des reptiles, la surface des coquillages. Ainsi, l’homme voit & ne manque guère d’imiter les feuillages, les fleurs, les rugosités quelquefois symmétriques des écorces des différens fruits, celle des arbres, l’assortiment des couleurs de l’arc-en-ciel, & les sinuosités des branches & des tiges que présentent les arbrisseaux & les plantes.

Les hommes, je l’ai déjà dit, sont excités à imiter par une sorte de puissance physique, par une sorte de provocation qui agit, à cet égard, comme l’instinct, & qu’on peut comparer aux effets que l’attraction produit à l’égard des corps inanimés.

L’homme voit agir : il est porté si machinalement à agir, qu’il agit aussi, à moins qu’il n’ait une raison forte de rester dans l’inaction. Il voit s’opérer une diversité infinie de formes dans les objets créés sans son secours ; il veut en créant aussi diversifier les formes des objets qu’il produit : il apperçoit une variété inépuisable de combinaisons dans l’emploi que la nature fait des couleurs ; il imite cette variété dans ses ouvrages, & il se modèle encore, même lorsqu’il est devenu le plus industrieux, le plus civilisé, le plus éclairé, sur les oiseaux, les serpens, les agathes, les coquillages, les fruits, les fleurs, qui restent toujours pour lui des modèles inépuisables de combinaisons diverses, & qui se font reconnoître, quoiqu’il les déguise, dans ses étoffes, ses meubles, ses ustensiles, enfin dans la plupart des décorations qu’il croit inventer.

Il est encore certains sentimens, certaines idées qui portent les hommes en général à employer la décoration. Je mets de ce nombre


l’amour & la religion, & tous les cultes en général.

En effet les sentimens qui les produisent excitent les hommes à en distinguer & à en décorer les objets par des ornemens ou par des hommages. Les ornemens appartiennent à l’art de la décoration. Les hommes civilisés, ainsi que ceux que l’on nomme sauvages, ornent ou décorent donc leurs dieux, leurs temples, leurs cabanes, & les reduits destinés à leurs plaisirs ; ils décorent même, si l’on peut s’exprimer ainsi, leurs hommages, par la pompe, la symmétrie, le luxe des talens, & par les recherches de toute espèce d’industrie.

Je ne m’étendrai pas davantage sur les développemens de ces idées. Je passe à ce qui est plus particulierement désigné par le mot décorations au pluriel.

Ce terme signifie ce qui, sur nos théâtres, désigne le lieu de la scene dans les représentations dramatiques. On dit dans cette acception : les décorations de ce théâtre, de cet opéra sont fort belles, sont médiocres, manquent de vérité, n’ont point d’effet.

Cet objet de la peinture forme, pour ainsi dire, un art particulier, assez étendu, qui a des regles & des pratiques, des loix scientifiques, telles que celles de la perspective ; & des routines d’artisans, telles que l’habitude des opérations, l’intelligence d’apprécier les tons & les effets des couleurs employées au jour pour être vues aux lumieres, &c. Comme on employe dans les decorations beaucoup plus l’illusion de la peinture que l’effet réel du relief, l’art de composer & d’exécuter des décorations est fondé sur la perspective, comme l’art de présenter des figures vivantes, l’est sur la connoissance de l’anatomie.

Un peintre ne peut être bon dessinateur, s’il ne connoît la forme, la place & le jeu des os ou des muscles qui constituent la charpente du corps & ses mouvemens. De même un peintre de décorations ne peut réussir à produire des illusions théâtrales, sans être fort versé dans les règles de la perspective linéale & aërienne. Il y a une différence remarquable dans les sciences que je viens de nommer, dont l’une est l’appui indispensable du peintre de figures, & l’autre, le guide aussi nécessaire du peintre de décorations ; c’est que les objets de l’anatomie ont une existence physique, & que ceux de la perspective sont les erreurs que produisent sur la vue les apparences des corps, en raison du point d’où on les voit, de leur dimension & de leur distance, & que cependant l’une & l’autre ont des règles positives.

Le peintre de décorations trace, par des opérations géométriques & certaines, des lignes inclinées, que, du point d’où elles doivent être apperçues, l’œil du spectateur prendra pour des lignes


Beaux-Arts. Tome I. Z