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la fois les qualités sublimes de Raphaël & les qualités brillantes de Paul-Véronese, l’artiste restera au-dessous de Raphaël & du Véronese & de ce qu’il auroit été lui-même, s’il n’avoit pas poursuivi plus qu’il ne pouvoit atteindre. Les facultés humaines sont bornées ; il faut donc qu’elles se prescrivent des bornes.

D’ailleurs, supposez un sujet noble, tel que Raphaël pouvoit le concevoir ; supposez aux figures l’expression qu’il pouvoit leur donner ; ajoutez-y toute la beauté des formes dont les plus parfaites antiques nous offrent le modèle : en voilà bien assez pour occuper l’ame du spectateur. Si vous joignez à tout cela le coloris du Titien ou de Rubens : au lieu d’ajouter à l’impression, vous l’affoiblissez, parce que le spectateur n’est plus dans l’état de repos nécessaire pour jouir uniquement des beautés qui doivent sur-tout l’occuper. Vous avez cru faire plus, & vous avez fait moins ; vous avez voulu ajouter à l’effet de votre art & vous l’avez affoibli.

On pourroit comparer la couleur de l’école romaine ou de celle de Bologne au style noble & simple de Virgile, ou plutôt au style encore bien plus simple d’Homere, & la couleur de l’école Flamande au style ronflant de Lucain ou de Claudien. Le style d’Homere charme doucement l’oreille, tient l’ame en repos par le moyen d’une tranquille harmonie, & lui laisse la liberté de se livrer à toutes les beautés que lui présente le poëte : le style de Lucain ou de Claudien frappe avec force le sens de l’ouie, l’occupe entièrement, & ne laisse pas à l’ame le calme dont elle auroit besoin pour se livrer aux beautés intellectuelles.

Les Vénitiens aimoient autant à multiplier les figures de leurs compositions, que les teintes de leur palette. Leurs sujets favoris étoient des fêtes, des banquets, des noces, des processions, des martyres, des miracles ; tous sujets qui ne causent pas une impression profonde aux spectateurs, parce que leur attention est trop partagée dans la foule qu’on leur met sous les yeux. Paul-Véronèse auroit cru que quarante figures étoient à peine suffisantes pour montrer sa secondité dans la composition, son talent à distribuer des grouppes, à disposer des masses de clair-obscur, à varier les étoffes de ses draperies. Annibal Carrache, pensoit que douze figures suffisoient pour quelque sujet d’histoire que ce pût être, & Annibal Carrache, étoit encore loin d’être un Raphaël.

Enfin rien n’est plus grave que le genre de l’histoire, il doit conserver sa gravité même dans la couleur.

Le Poussin disoit que « cette application à la recherche du coloris n’étoit qu’un obstacle pour parvenir au véritable but de la

peinture, & que celui qui s’attache an principal, acquiert par la pratique une assez belle manière de peindre. »

Peignez-vous pour parler sur-tout à l’œil ? Que l’étude du coloris soit votre principale occupation. Peignez-vousour parler à l’ame ? Que l’étude de la couleur soit subordonnée aux parties dont l’ame est sur-tout affectée.

Mais comme chaque genre de talent a un grand mérite quand il approche de la perfection, il ne faut donner à aucun l’exclusion. Un seul doit avoir la prééminence ; les autres méritent d’être accueillis puisqu’ils savent plaire. C’est donc l’artiste à consulter & à suivre le penchant qu’il a reçu de la nature. Celui qui se sont entraîné vers les écoles de Flandre ou de Venise, feroit vraisemblablement peu de progrès dans l’école Romaine. Si les premieres couronnes sont réservées aux Emules de Raphaël, il reste des palmes glorieuses à cueillir sur les pas du Titien, de Paul-Véronese & de Rubens. L’école Romaine est celle de la haute poésie pittoresque ; les écoles de Venise & de Flandres sont celles de la peinture proprement dite. Il est encore beau d’être peintre, quand on ne peut être poëte. Voyez l’article couleur dans le Dictionnaire de pratique (Article de M. Levesque).

COUP. Au premier coup. On dit un coup de pinceau, un coup de brosse, peindre à grands coups, peindre au premier coup.

Le coup de pinceau ou de brosse est l’action par laquelle, après avoir chargé la brosse ou le pinceau de couleur, on l’applique sur la surface sur laquelle on peint. Cette action désignée par le mot coup, n’est pas absolument celle que l’on exprime par le mot maniement du pinceau, quoiqu’elle y soit comprise. La première suppose plus de promptitude, elle signifie que l’on applique la couleur d’une façon libre, sans hésiter, sans revenir à plusieurs fois ; & en effet on ne distingue le coup de pinceau dans un objet peint qu’autant que l’artiste a opéré de manière à faire connoître le caractère de liberté dont je viens de parler.

L’on ne peint à grands coups que des objets considérables qui comportent cette manière de peindre ; mais tout ouvrage de peinture pourroit à la rigueur être peint au premier coup.

Peindre au premier coup un tableau, une figure, un paysage &c, c’est donc, comme je l’ai dit, le peindre de manière à ne point revenir sur ce qu’on a fait & à ne pas retoucher. C’est ce que dans l’art d’écrire, on appelle composer du premier jet. On doit sentir aisément que cette définition restreint la manière de peindre au premier coup à un usage