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laissent voir la couleur qui est au-dessous d’elles, & ne font que lui prêter la teinte qui leur est propre. Elles conviennent donc moins par leur peu de consistance à peindre qu’à glacer. Le glacis unit & accorde les tons en leur donnant une teinte générale & prête de la sympathie auxcouleurs les plus antipatiques.

Sans l’emploi des couleurs moëlleuses & transparentes, observe le Chevalier Mengs, on ne pourroit représenter des ombres véritables. C’est par le choix de ces couleurs, & par la manière de glacer, qu’on parvient à tenir dans l’obscurité les parties ombrées. Les couleurs sombres qui ne sont ni moëlleuses ni transparentes, ne peuvent imiter une ombre réelle, parce que la lumière n’en étant point absorbée, se réfléchit sur leur superficie, & les représente en même-tems obscures & éclairées, au lieu que les couleurs transparentes laissent passer les rayons lumineux & conservent une superficie réellement obscure. C’est le Correge qui a le premier découvert cette théorie & qui l’a mise heureusement en pratique.

L’empâtement, la belle pâte des couleurs consiste à les coucher successivement sur la toile d’une manière large & facile. Des couleurs tourmentées sont celles qui ont été altérées par un frottement timide de pinceau, trop souvent répété. Il résulte de cette fatigue une couleur sale. Une manière plus franche produit les couleurs brillantes.

On peut empâter en plaçant les teintes les unes à côté des autres & les fondant, les noyant ensemble : c’étoit la pratique du Correge. On peut aussi ne faire que les unir, c’est ce qu’à souvent pratiqué Rubens. La première manière a plus de moëlleux, de vérité, & la seconde plus d’éclat.

Peindre à pleine couleur c’est travailler avec un pinceau bien chargée de couleur & ne pas trop l’étendre. Cependant les tournans, les ombres, les lointains ne doivent pas être aussi chargés de couleurs que les clairs & les objets des premiers plans.

Le moyen de parvenir à l’effet qui est le résultat de la vigueur, c’est d’établir dans l’endroit du tableau où se passe l’action principale, la lumière la plus brillante & l’ombre la plus forte qu’il soit possible à l’art de créer. Si le tout ensemble est harmonieux, il faudra bien qu’il soit aussi de la plus grande vigueur, puisque le peintre aura passe de la plus éclatante lumière à sa plus entière privation.

Quand le tableau est assez avancé pour produire son effet général, il reste à faire un travail qui doit lui donner la vie. L’Artiste reposé sur son ouvrage & le revoyant d’un œil frais, rend par des teintes & des touches légères les montagnes, les arbres, les richesses du loin-


tain. Il pratique au milieu de la scène des effets qui affoiblissent ceux du fond & les repoussent à leur place. Déjà le brillant des nuances se joint à la hardiesse de la manœuvre, déjà les objets s’arrondissent ; déjà de belles touches enrichissent les parties saillantes & lumineuses. « Parvenu aux figures des premiers plans, il ranime le feu de son enthousiasme. Il touche, il heurte, il frappe savamment à droite & à gauche. Son art assaisonne les masses par des fiertés, les couleurs par des frais, les effets par des piquants, les contours par des finesses, les lumières par des épaisseurs affectées, les ombres par de savans laissés. Ici il raffraîchit la beauté de ces demi-teintes, là il réveille ces reflets trop amortis, ailleurs il rehausse par des glacis quelques nuances trop sourdes ; plus bas il prononce des détails peu formés, il adoucit des travaux trop durs, il varie des travaux trop uniformes, & par des touches aussi hardies que caractéristiques, détachant les objets de leur fond, il les tire hors de la toile. » On sent que c’est un artiste (M. d’André Bardon,) qui vient de parler & qu’il étoit animé de tout le feu que l’art inspire.

Des leçons écrites sur le coloris seront toujours très-insuffisantes. C’est par les yeux que de telles leçons doivent se communiquer à l’intelligence. Pour devenir coloriste, il faut regarder avec attention & souvent les chefs-d’œuvre des peintres qui se sont distingués par la couleur, y étudier le maniment du pinceau, les artifices des oppositions, les beaux partis de lumière & tous les expédiens qu’ont employé les grands maîtres pour imiter la nature. Mais cette utile étude n’est pas sans danger si l’on ne s’est pas préparé à la bien faire. On risque de se perdre si l’on ne sait pas distinguer l’ouvrage de l’artiste de celui de la dégradation. Cherchez dans un vieux tableau, non ce qu’il vous présente, mais ce qu’il étoit en sortant de l’attelier : craignez de confondre avec le résultat de l’art, les effets d’un vieux vernis, de la fumée, de la moisissure, des couleurs qui ont poussé au noir, de l’huile qui a pris une teinte jaune ; en un mot ne prenez pas pour objet de votre étude les ravages du temps.

On fait que les écoles les plus célèbres pour le coloris, sont celles de Venise & de Flandres. Par leur succès dans cette partie de l’art, elles partagent la gloire de l’école Romaine. Si l’on pouvoit douter que des plus grands efforts des coloristes, il ne résulte que des mensonges imposans, on en trouveroit la preuve dans la comparaison de leurs ouvrages. Mettez à côté l’un de l’autre de beaux tableaux du Titien, de Paul-Veronese, du Bassan, de Rubens ; vous reconnoîtrez que ces tableaux tous bien colorés, sont d’une couleur différente.