flatte le plus, l’admiration de leur talent ; & les spectateurs le principe du plaisir que produisent les arts ; car il est certain que le but des arts pour les uns & les autres ne peut être que des erreurs momentannées. L’artiste & le spectateur souffrent donc volontiers, & doivent desirer même que l’ouvrage ne trompe pas absolument ; mais qu’il engage à se laisser tromper. Si l’erreur étoit entière au premier abord, ce ce qui peut avoir lieu dans certaines circonstances, il est indispensable, comme je l’ai dit, pour que la réussite soit complette, qu’on reconnoisse enfin que cette erreur est l’effet de moyens inventés & employés avec la plus grande intelligence ; car c’est de cette connoissance que naît, dans ceux qui jouissent des productions artielles, un sentiment agréable, qui, mêlé d’admiration, se partage, sans qu’on s’en rende précisément compte, entre l’ouvrage, l’artiste & l’art, & souvent l’objet réel qu’on a imité, lorsqu’il a été bien choisi.
Le spectateur joint encore assez souvent à ces idées celle du moyen qu’il a de reproduire en lui ce sentiment agréable, en revoyant l’imitation ; comme on se fait un plaisir d’avance de pouvoir relire un ouvrage imprimé qui satisfait l’esprit ou le cœur : je serois tenté d’ajouter encore à tout cela la satisfaction des personnes qui partagent la jouissance de ceux a qui ils procurent la vue d’un bel ouvrage, & qui sont témoins dès mêmes illusions qu’ils ont éprouvées.
Il résulte de ces élémens que des conventions plus ou moins développées sont inséparables de l’art de la peinture, comme il en est d’essentiellement attachées aux autres arts libéraux. Il est indispensable, par exemple, que tout spectateur convienne tacitement de se placer (pour éprouver les illusions qu’a eu dessein de produire sur lui l’artiste) à la distance & au point de vue qui doit contribuer le mieux à le tromper ; il faut qu’il se soumette à renfermer en quelque façon ses regards dans l’espace peint, qui, pour lui rappeller cette convention, se trouve ordinairement circonscrit par unebordure, dont le véritable avantage est, de fixer la vue & d’opposer quelqu’obstacle à la distraction que causeroient les objets voisins, & à la comparaison d’objets naturels & vrais, & d’objets imités.
C’est par cette nécessité de conventions tacite que nous nous accordons même avec le joueur de gobelets pour nous en laisser imposer ; & que, d’après une sorte de pacte secret, nous nous prêtons à nous approcher de lui, à nous laisser placer à son gré, & à nous soumettre à toutes les préparations qui favorisent ses adroites supercheries.
J’ajouterai, puisque j’y sais naturellement conduit, que ceux qui, n’ayant aucun penchant pour les arts & pour la peinture eu particulier,
se refusent avec affectation à observer les conventions nécessaires, & se sont une sorte de vanité de se défendre opiniâtrement de ce qui peut favoriser les illusions artielles, ressemblent à certains speactateurs des jeux dont j’ai parlé, qui croyent montrer de l’esprit, de la sagacité, & ne se montrent que ridicules, en faisant, s’ils le peuvent, manquer les tours d’adresse dont on se propose de les amuser. La dérision qu’ils essuyent, ou l’impatience qu’ils causent, vient de ce que, par une petite vanité mal entendue, ils rompent ouvertement les conventions que les autres observent pour leur amusement, sans se croire plus dupes que ceux qui ne veulent pas se laisser tromper.
Plus on entre dans les détails-pratiques de la peinture, plus on apperçoit le nombre considérable de conventions, qui doivent nécessairement s’établir & s’observer pour que cet art puisse exister. Une des plus indispensables encor, est celle qui, relative à la différence de dimension, fait que nous nous prêtons à l’illusion, même pour les imitations plus ou moins grandes que les objets imités. Sans une convention tacite, il ne pourroit certainement y avoir aucune illusion pour le spectateur, & sur-tout à l’égard des tableaux qui représentent la nature humain, dont les dimensions ordinaires nous sont plus habituelles. Aussi-tôt que l’art de la peinture s’établit, il s’établit donc aussi de la part de tous ceux pour qui ses ouvrages sont destinés, cette convention, qu’une figure de quelques pouces de hauteur représentera un homme ou une femme de la grandeur ordinaire. Dès-lors, chacun se charge, à l’aide de son imagination, de grandir ou de diminuer les figures petites ou colossales ; & l’on conçoit aisément que si l’imagination est susceptible de ce miracle, relativement à la figure humaine, elle doit avoir moins de peine a opérer un semblable effet pour les objets inanimés, qui la plupart sont susceptibles eux-mêmes de très-grandes différences dans leurs dimer sions naturelles.
Ne passons pas sous silence une autre convention non moins difficile à remplir, & sur laquelle on ne réclame pas plus cependant que sur celle dont j’ai déjà parlé ; c’est celle de se prêter à l’immobilité effective dans les objets que l’imitation suppose en mouvement.
Il existe, dans les arts libéraux, deux genres d’imitation de la nature ; les ouvrages de l’un de ces genres sont dénués de mouvement, telles sont lea imitations produites par la peinture & la sculpture : les productions de l’autre genre sont dtées de mouvement, ou s’opèrent à l’aide du mouvement ; telles sont les imitations qu’exécutent la pantomime, la poësie, l’éloquence & la musique.
Le premier genre exige que l’on suppose des