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138 CON CON

S’il connoit la Fable, l’Histoire, les usages & les vêtemens des différens peuples, il tirera grand parti de son érudition pour juger les ouvrages de l’Art ; il ne s’appercevra pas qu’il juge l’Historien, le Savant, & non le Peintre. Un Artiste peut se tromper sur des détails historiques, donner des habits persans à Romains, contrarier les usages du peuple qu’il il réprésente, & être cependant un grand Peintre ; un Artiste médiocre, mais qui a quelque littérature, peut faire un tableau très-foible sans pêcher contre l’histoire & le costume.

Mais c’est la connoissance matérielle, celle dont se piquent les Marchands de tableaux, qui est sur-tout recherchée par le vulgaire des connoisseurs. Elle consiste, non pas à juger le tableau lui-même, mais a y attacher le nom d’un Artiste : ce nom décide le mérite de l’ouvrage, & ce mérite risque de s’évanouir, si l’on découvre dans la suite que le nom a été mal appliqué.

Un bon nomenclateur de tableaux doit savoir distinguer la manière générale qui caractérise chaque Ecole, & la manière particulière qui caractérise chaque Maître.

En effet, quoique chaque Maître ait un dessin, une touche, une couleur qui lui soit propre, il y a encore, dans le total de sa manière, un style qui témoigne à quelle Ecole il appartient. Pour reconnoître ce style, il faut avoir vu un bien grand nombre de tableaux de chaque Ecole, & même de leurs différens âges ; car les Ecoles ont leurs âges comme les hommes. L’Ecole Françoise du dix-huitième siècle est bien différente de la même Ecole au dix-septième. D’ailleurs, certains Maîtres font école dans l’Ecole ; d’autres semblent appartenir à une Ecole étrangère. Le Poussin est tout Romain ; on en en peut dire autant de le Sueur, qui cependant n’a jamais vu Rome ; le Brun est plus Romain que François ; de Troy, Coypel, sont des François qui ont pris quelques leçons à Rome. Par quel caractère distinguera-t-on que Boucher appartient à la même Ecole que le Poussin, le Sueur & le Brun ?

Il n’est souvent guère moins difficile de disstinguer le style particulier de chaque Artiste, parce que plusieurs ont varié leur style suivant les sujets qu’ils avoient à traiter, parce que tous ont changé de style à différens âges. La première manière d’un artiste est celle de son maître, & souvent il est à cette époque très-difficile de distinguer les ouvrages du maître & de l’élève : il se forme ensuite une manière qui lui appartient : quelquefois il s’en dégoute & en prend une différente ; il en change presque toujours avec l’âge. Il devient plus froid, plus timide ; il néglige l’étude & travaille de pratique ; il se fait une manœuvre plus expéditive parce qu’il est plus employé, & diminue de


talent en même-temps qu’il augmente de réputation.

Enfin il y a des artistes qui ne manquent pas d’habileté, mais qui n’ont pas un talent qui leur soit propre. La nature ne les a destinés qu’à être de bons imitateurs : ils composent avec l’esprit d’un autre, colorent avec les yeux d’un autre, travaillent en quelque sorte avec la main d’un autre. Pensée, touche, coloris, disposition, maniement de pinceau, rien n’est à eux. Ils deviennent un double du maître qu’ils ont pris pour modèle, & sont capables de tromper souvent même de bons connoisseurs. On ne prendra pas leurs ouvrages pour les chef-d’œuvres des artistes qu’ils ont imités ; mais on croira qu’ils sont de leur main. Leur fortune ira même plus loin. Comme un propriétaire veut toujours que le tableau qu’il possède soit le plus beau du maître dont il porte le nom, l’imitateur l’emportera dans quelques esprits sur l’artiste qu’il a imité, & l’œuvre du singe sera préférée a celle de l’homme.

Les artistes & les bons connoisseurs peuvent être quelquefois embarrassés dans leurs jugemens par d’excellentes copies. Voyez COPIE. (Article de M. LEVESQUE.)

CONNOISSEUR (subst. masc.) n’est pas la même chose qu’amateur. Connoisseur en fait d’ouvrages de peinture ou des autres arts qui ont le dessin pour base, renferme moins l’idée d’un goût décidé pour l’art, qu’un discernement certain pour en juger. On n’est jamais parfaitconnoisseur en peinture sans être peintre ; il. s’en faut même de beaucoup que tous les peintres soient bons connoisseurs. Il y en a d’assez ignorans pour voir la nature comme ils la font, ou pour croire qu’il ne faut pas la faire comme ils la voyent. (Article de l’ancienne Encyclopédie).

Ne pourroit-on pas répondre à l’auteur de cet article que l’artiste n’est pas obligé de rendre la nature comme il la voit, parce qu’il ne l’est pas de faire ce qui est impossible. Voyez l’article CONVENTIONS, & sur-tout l’addition a cet article extraite des œuvres de Mengs : au-reste, il faut avouer que tous les artistes ne sont pas parfaits connoisseurs, d’abord parce que l’art a une si grande étendue qu’il est bien difficile à un seul homme d’en embrasser toutes les parties, & ensuite parce que beaucoup d’artistes ont un goût exclusif, & qu’ils ne savent pas reconnoître le beau qui ne s’accorde point avec leur goût. (Article de M. Levesque).

CONSEILS sur les ouvrages de peinture.

Rien de plus incontestable théoriquement que la nécessité de demander des conseils, lorsque’on travaille à des ouvrages qui sont destinés à plaire ; demandez donc des conseils, recevez des avis, profitez-en. Voilà des préceptes que tout le monde sait, que tous les hommes se re-