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point, comme dans les autres heures du jour, de ces grandes masses & de ces accidens de lumière qui ont tant de pouvoir sur les corps, pour les détacher les uns des autres & les faire paroître isolés. Chaque objet dans cet instant du jour a sa lumière particulière & son ombre qui ne porte point sur les objets voisins, ce qui nuit beaucoup à la formation des grouppes. Voilà aussi pourquoi la lumière de midi seroit celle dont je conseillerois le moins de faire usage ; & dans le cas qu’un Peintre ne pourroit pas s’en dispenser, je ne voudrois pas qu’il mît dans son ordonnance un trop grand nombre de figures. Quant aux sujets qui paroissent cadrer davantage avec cette lumière, j’incline toujours pour des actions de repos. Par exemple, Jesus-Christ s’entretenant avec la Samaritaine, Abraham recevant les Anges & les invitant à se reposer sous ses tabernacles, & si vous me permettez d’en proposer un tiré de mes propres ouvrages & qui me semble avoir eu quelque succès : Jésus-Christ palant à ses Disciples qui cueillent des épics de bled un jour de Sabat.

L’Après-Midi

Comme le tems a essuyé de grandes variations avant l’heure de midi, il continue quelquefois d’en éprouver lorsque cette heure est passée, & même de beaucoup plus considérables, surtout dans la saison de l’Eté. Le Soleil est plus ardent l’après-midi que le matin, & plus il est dans sa force, plus le ciel est prompt à s’enflammer. Il arrive assez fréquemment que dans un tems le chaleur, les nuées s’assemblent, se grouppent, s’amoncèlent d’une façon singulière ; le Soleil s’y peint & les dore admirablement ; elles prennent des couleurs d’un brillant étonnant. Il ne faut pas manquer ces beaux & heureux effets qui enrichissent un tableau, & qui le rendent extrêmement lumineaux ; mais s’il a plu & que le Soleil reparoisse, toute la nature se revêt de couleurs dont il semble qu’elle avoit négligé jusqu’alors de se parer, & c’est un nou veau spectacle qui mérite toute l’attention d’un Peintre. La liumière venant à frapper sur tous les objets qui s’offrent à notre vue, & les trouvant encore humides & chargés de gouttes d’eau, elle en fait autant de miroirs séparés, dans lesquels les couleurs des objets voisins se mirent & se multiplient, & acquierent une force & une vigueur qu’on ne leur connoissoit point auparavant.

Cette partie du jour est celle qui met plus à l’aise un Peintre ingénieux & qui lui permet plus de libertés ; il peut ordonner, arranger son ciel & ses lumieres comme il lui plaît ; il peut monter les dernières au point qu’il jugera nécessaire pour le meilleur effet de son tableau, faire partir la lumière par grands éclats, qui portant un jour très-lumineux dans les endroits où il en sera


besoin, y occasionneront des ombres tout aussi fières ; & il arrivera de-là que les reflets qui se répandront sur tous les entours des corps ainsi éclairés, devenant plus sensibles, le tableau dans sa totalité redoublera de force & de vigueur. Remarquez aussi que cette lumière est celle dont tous les grands Coloristes ont fait un plus fréquent emploi ; c’est elle qui anime ces admirables Bacchanales qui ont fait tant d’honneur au Titien ; & à en juger par le succès, on ne peut guères se refuser de la regarder comme consacrée à ces sortes de sujets bruyans. De tous les effets de lumière, aucun ne me piqueroit davantage ; mais après ce que j’ai conseillé, il ne me conviendroit pas de montrer de la prédilection pour une sorte de lumière plutôt que pour une autre. Je dois au contraire continuer de soutenir que la beauté du génie dépend autant de la façon dont un Peintre diversifie ses lumières, que de la variété qu’i met dans la distribution de ses figures.

Le Soleil Couchant

Ne soyez plus surpris après cela de me voir si vif, quand il faut recommander à tous ceux qui marchent dans la carrière de la Peinture, & surtout aux jeunes gens qui y mettent le pied, de suivre le progrès de la lumière dans tous ses instans. Il me reste à vous en faire encore appercevoir un, c’est celui qui se fait sentir lors du passage du jour à la nuit, ou, si vous l’aimez mieux, l’heure à laquelle le Soleil se couche ; l’horison paroît alors presque tout en feu, la lumière qui en sort & tout ce qui se rencontre sur son passage & qu’elle touche, participe de cette couleur de feu. Dans certains tems même, ceux, par exemple, qui promettent du vent pour le jour suivant, le ciel, dans la partie qui touche à l’horison, est presque rouge ou d’un orangé fort vif ; on voit quelquefois les nuages se charger d’une couleur violette, dans les parties qui sont en opposition avec le Soleil.

Plus ces accidens sont bisarres, plus il est nécessaire d’en prendre des notes ; & comme ils ne son tque momentanés, il faut être prompt à les copier tels qu’ils se montrent, non pas cependant pour les employer, sans y rien changer ; car quelque fidèle que soit la représentation d’une chose qu’on aura vue dans la nature, si, dans sa singularité, elle s’éloigne trop de la vraisemblance, inutilement voudra-t-on la faire recevoir pour vraie ; c’est de plus un des grands principes, qu’il ne faut rien outrer, & par conséquent la Nature n’est pas imitable lorsqu’elle tombe elle-même dans le vice. Mais on peut admirer ce qui paroît trop révoltant dans les effets surnaturels & pue communs que la Nature présente ; en usant de ce tempérament, ils demeureront toujours assez piquans, & il n’en est aucun dont on ne puisse alors faire usage avec succès & sans la moindre contradiction.


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