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multueux, & à ceux-ci succèdent les plaisirs paisibles, qu’on commence à goûter au moment de la cessation des travaux & à la chûte du jour.

Je ne suis pas assez plein de mon opinion, pour exiger, Messieurs, que cette progression systématique d’idées soit adoptée dans toute son étendue. J’avoue qu’elle pèche peut-être par trop de singularité, & je suis le premier à en reconnoître le foible ; mais du moins faut-il m’accorder qu’un Peintre jaloux de montrer de l’esprit & de mettre du sentiment dans ses productions, peut & doit en tirer parti, quand cela ne serviroit qu’à lui suggérer les moyens de diversifier souvent les effets de ses lumières, qu’à lui en mieux faire sentir le besoin, ainsi que les désagrémens de la monotonie ennuyeuse que causent la répétition & l’emploi trop réitéré d’une même espèce de lumière

Car voilà ce qui se passe tous les jours sous nos yeux. Un Peintre a-t’il réussi à bien exprimer un certain effet de lumière, il s’y complait, il en contracte l’habitude & il s’en fait une manière à laquelle il demeure constamment attaché & qu’il ne quitte plus. Voyez, par exemple, le Bassan, personne n’a mieux peint que lui l’aube du jour : personne aussi ne l’a répétée plus souvent. Il n’est presqu’aucun de ses tableaux qui ne soit éclairé d’une lumière naissante, venant de l’horison ; & il en faut convenir, tout précieux que soient ses ouvrages, cette répétition y met une sorte d’uniformité qui déplaît. Le Caravage s’est vu applaudi, parce qu’avant lui, aucun Peintre n’avoit représenté avec autant de vérité, des lumières qui, perçant dans des lieux obscurs & ténébreux, & y tombant à plomb sur les corps qu’elles y rencontrent, produisent sur ces objets de grandes ombres & de grands clairs qui les sont paroître avec une force, une vigueur & un relief surprenans ; & depuis cette acquisition nuisible, ce maître appauvri n’a plus su peindre des figures en plein air & n’a pas même cru qu’on le dût faire. A ces noms illustres, j’en pourrois joindre d’autres qui ne seroient pas moins imposans ; mais croyez qu’aucune de ces autorités ne feroit l’excuse des Artistes qui, trop peu sur leurs gardes, se laisseroient emporter à une pratique aussi dangereuse.

L’erreur pour être couverte d’un grand nom n’en demeure pas moins une erreur ; & toute uniformité, toute répétition d’idée est un vice. Il accuse dans celui qui s’en rend coupable, une disette & une stérilité de génie, que ne montrent point les ouvrages du Titien, ceux des Carraches & de leurs savans élèves, & surtout ceux de M. Poussin qui, s’il m’est permis de dire ce que j’en pense, a connu & pratiqué les règles de son art, mieux qu’aucun Peintre. On ne voit point que ces habiles gens aient épouse un goût & une manière particulière ; ils se sont remplis de tous les goûts & de toutes les manières, & n’en ont imité aucune servilement. La nature a été leur


unique guide : plus il l’ont étudiée, plus ils ont fait l’expérience qu’elle varioit perpétuellement dans ses effets, & à son exemple, ils se sont pareillement attachés à diversifier les effets de la lumière dans leurs tableaux. Belle leçon pour nos élèves, qui, s’ils s’y rendent dociles, leur servira d’un puissant préservatif contre cette pente naturelle, ou, pour mieux dire, contre la paresse & l’indolence qui nous portent trop volontiers à imiter, sans y rien mettre du nôtre, ce que nous avons vu pratiquer avec succès par nos prédécesseurs & qui, nous empêchant de nous êlever, nous fait demeurer pour toujours dans une humiliante, médiocrité.

Ne perdons point de vue, Messieurs, l’importante vérité que je viens de mettre sous vos yeux. Mais ce n’est pas assez d’avoir fait connoître au Peintre qui veut plaire la nécessité de varier ses lumières, il faut lui montrer encore que la lumière fait partie du sujet qu’il doit traiter & que conséquemment il doit, avant toutes choses, commencer par examiner dans quelle partie d jour & sous quel ciel la chose qui constitue son sujet a dû se passer. Il ne peut se refuser de se conformer à l’Histoire, si elle lui prescrit quelque chose d’essentiel & de particulier à cet égard ; mais si elle lui laisse le champ libre, il n’en sera que plus circonspect & plus attentif à garder les convenances ; il jugera par lui-même de l’heure & du moment qui seront les plus propres & les plus vraisemblables, ainsi que de l’intérét que peut jetter dans sa composition une lumière produifant un des effets que je vais parcourir.

L’Aube du jour

Je suppose qu’un Peintre eût à représenter quelqu’attaque ou quelque surprise de ville, qu’il eût à exprimer le commencement d’une bataille, il pourroît alors faire choix de l’Aube du jour, parce que c’est assez ordinairement à cette heure que se méditent & s’exécutent ces expéditions. La ville de Jéricho, celle de Haï, toutes deux forcées par Josué à la pointe du jour, la fameuse bataille d’Actium & beaucoup d’autres qui ont commencé avec le jour, vous diront que le choix de cette heure est convenable & ne répugne point à la vérité. Mais est-il besoin de fournir au Peintre qui ne seroit pas encore bien persuadé, un exemple du bon effet que produit en ces occasions sur une multitude de figures qu’il faut démêler & auxquelles il est nécessaire d’assigner différens plans pour éviter trop de confusion, une lumière qui frise la surface de la terre & qui, à peine sortie de l’horison, frappe doucement sur les corps & laisse dans l’ombre ou la demie-teinte ceux de ces corps qui sont interposés entre elle & l’œil du spectateur ? Qu’il consulte M. le Brun & qu’il admire le bon emploi que cet habile homme a fait de cette lumière, dans le merveilleux