Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122 CON CON


bres, que ne l’est la partie d’en bas, parce que celle-ci est à portée de recevoir les reflets du pavé du terrein, dont l’effet diminue à mesure qu’il s’éloigne de sa cause, & fait place à des masses qui montent en brunissant toujours. Souvenez-vous bien de ce dernier point d’intelligence ; car il est d’un usage universel. En le suivant, votre figure paroîtra être réellement debout : en en la negligeant, elle aura souvent l’air de tomber à la renverse. Ce défaut est bien plus commun qu’on ne le croit, & même assez peu apperçu. Adressez-vous souvent à la nature, vous ne tomberez jamais dans ces inconvéniens.

C’est encore l’exacte contemplation de la nature, qui vous apprendra de ne point faire porter à vos figures, soit sur le terrein, ou sur quelqu’autre corps, de grandes ombres de même longueur, & toujours aussi brunes sur leur fin qu’à leur commencement ; car pour la longueur des ombres, vous sentez qu’elle se doit régler par le point d’où l’on fait partir la lumière. Si le jour vient de haut, l’ombre doit être courte : si la lumière est basse, l’ombre doit être allongée. C’est une attention qu’il faut avoir plus particulièrement dans les sujets dont la scène est en plein air, & qui indiquent déterminément certaines parties du jour. La lumière du midi, se doit caractériser par les ombres courtes, celle du matin ou du soir, par les ombres longues ; & quant au ton trop égal, que plusieurs leur donnent d’un bout à l’autre, vous verrez dans la nature qu’elles ne sont très-fortes que contre ce qui est posé à terre : qu’immédiatement après, elles commencent à se dégrader, ce qu’elles continuent de faire insensiblement & jusqu’au bout, à cause de la lueur qui règne par-tout où il fait jour.

Principe qui a lieu à l’égard de tous les corps qui portent des ombres, avec une distinction cependant, que cette dégradation est beaucoup moins marquée dans les ombres qui sont éclairées par le soleil.

Toutes ces choses, encore une fois, veulent être vues dans la nature, pour être rendues avec cette justesse qu’on aime tant à trouver dans un bon ouvrage. Elles ne peuvent être suppléés par la pratique, quelque rompu qu’on y soit, que fort imparfaitement. Vous le voyez dans certains paysages qu’on reconnoît aisément avoir été faits d’après nature, mais où les figures sont comme postiches, parce que le Peintre les y a ajoutées dans son cabinet. Si en peignant ces terrasses, il avoit eu l’attention de les placer & de les voir dessus, il leur auroit donné leur ton juste, & à leurs ombres la force & la longueur marquées par la nature. On a beau faire, je ne cesserai de le repéter, la réminiscence ne donne jamais ces vérités exactes, qui font la perfection de l’Art ; on ne la peut attendre que d’un examen continuel de le nature : si l’on vouloit bien s’attacher à l’épier soigneusement dans tous ses ef-


fets l’on feroit des choses surprenantes, & d’une vérité à tromper.

Je finirai par dire un mot d’une autre pratique, que M. de l’Argilière regardoit comme très-défectueuse, c’est celle que plusieurs Maîtres de son temps suivoient, pour mettre ensemble des objets qui dans leurs tableaux devoient occuper différens plans, & faire opposition les uns contre les autres. Ce qu’il trouvoit à redire dans la façon de faire de ces Maîtres, étoit qu’en leur voyant prendre le modèle, pour peindre d’après, les figures qu’ils vouloient mettre, soit sur leur premier plan, ou sur le second, ou même sur le troisième, ils le posoient toujours devant eux à la même distance.

Le premier inconvénient qui arrivoit de là, étoit qu’ils voyoient toujours leur modèle éclairé du même ton ; mais ils remédioient à cela, en le colorant par estime, suivant l’idée qu’ils avoient de la gradation qu’ils vouloient donner à leurs tableaux, ou pour mieux dire, ils croyoient y remédier. Car il est aisé de concevoir que cette estime n’étoit pas toujours assez juste, pour n’être pas sujette à mécompte. Quand cela arrivoit, & qu’une figure, placée dans l’éloignement, se trouvoit trop ardente de coloris, ou trop grise, suivant le préjugé où l’on étoit, l’on disoit de sang-froid : je vais éteindre un peu, ou je vais réveiller un peu cette figure ; & comme c’étoit ordinairement par le premier de ces deux défauts qu’elle péchoit pour avoir été vue de trop près, on se mettoit à la salir par quelque teinte grisâtre, dont on la glaçoit : cela fait, on étoit content de soi, & l’on se persuadoit de l’avoir mise dans son vrai ton ; mais ceux dont les yeux étoient accoutumés à comparer la couleur des objets par rapport à leurs distances, & à chercher cette couleur dans la nature, étoient fort loin d’en juger de même. Ils ne se souvenoient point d’avoir vu dans la nature de ces mauvaises couleurs grises ou violettes, qu’ils voyoient employer ainsi pour enfoncer les objets du tableau. Ils se rappelloient au contraire ces couleurs fuyantes, si douces, si agréables, si participantes de l’air ; couleurs qui ne se peuvent décrire & qu’on ne peut bien apprendre à connoître que par cette étude de comparaison à laquelle vous voyez que mon sujet me ramène toujours ; & comment faire cette étude dans le cas dont il s’agit ici ? Rien de plus aisé. C’est en posant deux modèles à une distance convenable pour évaluer au juste la véritable couleur de l’un & de l’autre, & en vous accoûtumant de voir les autres objets de la nature dans le même esprit. Et voilà le grand secret de cette perspective aërienne, qui n’est pas moins essentielle pour la perfection de notre Art, que ne l’est la perspective qui ne regarde que le trait.

Le second inconvénient qui naît de cette pratique, est que cette manière de voir le modèle à distance pareille, à quelque plan que soit dessinée