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CON CON 119


du clair-obscur. Souvenez-vous encore de prendre toujours vos avantages du côté des ombres, pour n’être pas obligé de vous noyer dans les clairs, de les étendre, de les charger de couleur pour faire briller votre objet, & posez enfin comme une règle générale que tout ce que vous pouvez faire par cet artifice vaut bien mieux que de chercher à le faire par l’épaisseur de couleur, parce qu’étant appliquée sur une superficie plate, elle ne sauroit aider à votre effet, & ne peut que lui faire tort, excepté dans certains cas qui sont rares. »

M’ayant ainsi endoctriné sur tout ce que j’avois à faire, il me fit mettre sur la table où étoit mon bouquet, deux ou trois autres objets blancs, pour me régler pour la justesse de la couleur, & me laissa.

A l’instant même je me mis à exécuter de mon mieux ces instructions, dont j’avois la tête remplie, & qui, je vous l’avoue, me transportoient. Je fus surpris moi-même, après avoir achevé mon tableau, de voir l’effet qu’il faisoit. Toutes mes fleurs paroissoient très-blanches, quoique le blanc-pur y fût employé en peu d’endroits, & qu’elles fussent pour la plupart rendues par de grandes & larges demi-teintes. Mon bouquet, dans tout son pourtour, tenoit sa masse colorée sur son fonds, pour ne pas dire brune, & les coups de vigueur dont je l’avois souvent tappé dans les ombres, lui donnoient une force étonnante.

Par ce récit, vous pouvez voir la vérité de ce que je vous viens de dire, qu’il n’est point de si petit objet dans la nature dont nous ne puissions tirer de grandes lumières, en l’étudiant avec soin & selon les vrais principes. Je suis sûr que vous ne manquerez pas d’admirer la belle leçon que je reçus là, & à propos de quoi ? A propos d’un simple bouquet de fleurs. Vous trouverez toujours dans vos Maîtres les mêmes ressources toutes les fois que vous voudrez les chercher. Il y a une certaine volonté de savoir & de bien faire, que vous n’avez qu’à leur montrer pour avoir leur cœur & toutes les richesses de leur savoir. Cette borne volonté, quand nous la trouvons en vous, nous console de toutes les peines que vous nous donnés. N’est-il pas triste que nous la rencontrions si peu ?

Outre ces principes d’opposition, & de comparaison, dont je vous ai parlé, & qui ne peuvent s’appliquer qu’au nombre borné d’objets, que dans le naturel on peut voir ensemble & sur le même plan, nous avons encore à examiner les régles qu’on peut observer pour mettre en opposition, & pour comparer par rapport à la couleur & à d’autres détails, les objets qu’on place sur des plans différens. Mon Maître pensoit qu’il y avoit encore sur ce point des pratiques bien erronées. La première qu’il regardoit


comme telle, étoit l’usage où étoient plusieurs Maîtres de son tems, d’arrêter leurs compositions, sans trop s’embarrasser d’arrêter, dans un certain détail, la distribution de leurs lumières. Cela faisoit qu’ils cherchoient ensuite leurs oppositions comme à tâtons, en portant leur sujet sur leur toile ; c’est-à-dire, qu’ils plaçoient leurs objets à mesure, & sur un fond qui leur étoit encore inconnu.

Tout au plus ils prenoient leur parti sur les masses générales, se réservant de le décider, en travaillant, sur les oppositions particulières. Une grande masse brune sur le devant pour servir de repoussoir ; une masse claire sur le second plan ; un fond grisâtre sur le troisième, faisoient l’affaire. Le reste, encore une fois, s’arrangeoit après. Et mon Maître me disoit : « Quoique la lumière ne marche qu’après le trait, ou le dessin, il est impossible de bien composer, sans avoir prévu l’effet qu’elle doit faire sur chaque figure, ou autre objet qu’on trace & dispose en composant, & sans avoir retourné dans son idée ses figures ou objets, ou les avoir considérés dans la nature, pour savoir ceux ou celles qui doivent recevoir la lumière, ou qui en doivent être privés. »

« Quand on s’accoutume à bien observer la nature dans cet esprit, notre imagination se meuble de mille & mille effets qu’on ne devineroit jamais, & qui se présentent à nous au besoin. Nous les mettrons en œuvre en composant, bien entendu que nous devons les épurer après, par une étude plus particulière, faite sur le naturel. Ceux qui se contentent de suivre les routines triviales dont je viens de parler, donnent dans le faux à chaque pas, ou s’ils n’y donnent pas, c’est par pur hasard, & autant que cette routine, qu’ils suivent en aveugles, ne s’éloigne pas des vrais principes. » « Par exemple, continua-t-il, rien n’est plus faux que cette masse noire dont ils chargent l’un après l’autre le devant de leurs compositions, parce qu’il n’y a rien de plus contraire à l’effet de la nature. » « Jamais elle ne vous offre rien de noir que ce qui est non-seulement privé de la lumière en général, mais qui est assez enfoncé pour être absolument privé de réflets. Aussi quand une fois les sectateurs du systême des repoussoirs ont déterminé cette masse noire pour faire valoir le reste de leur besogne, ils commencent par renoncer à cette vérité de la nature, & font toute cette masse de la même couleur ; chairs, draperies, terrasses, bref tout ce qui s’y rencontre. Ensuite ils peignent leurs figures du second plan éclairées à l’ordinaire. En sorte que celles-ci sont à l’égard de celles du premier plan, comme si l’on voyoit une troupe d’Européens placée à côté d’une troupe de Maures ou d’Indiens. Or, ces figures-ci ne