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RÉFLEXIONS

Sur la manière d’étudier la couleur, en comparant les objets
les uns aux autres.
Par M.Oudry, Professeur.

JE me flatte d’être assez connu de vous, Messieurs, pour n’avoir pas besoin de vous assurer que si j’entreprends ici de m’expliquer sur quelques-uns de nos principes, ce n’est point du tout dans la vue d’attaquer les sentimens d’aucuns de mes confrères, qui pourroient voir les choses d’un autre œil que moi, & que c’est encore moins dans celle de vouloir leur faire la leçon. Vous savez que j’ai toujours respecté les lumiéres & les talens de nos habiles Maîtres. Aussi puis-je dire avec franchise que lorsque je m’avisai de coucher par écrit les réflexions que je hasarde ici, je ne pensois pas à les faire jamais paroître devant vous : je songeois seulement à me les arranger dans l’esprit, & à les mettre ensemble pour l’instruction de mon fils ; mais, depuis qu’on a si bien prouvé que chacun de nous doit contribuer, suivant son talent, à celle de nos jeunes Elèves, que pour cela même vous faites entrer dans nos assemblées, j’ai cru qu’il falloit faire tout céder à cette considération.

Je vous préviens donc que ce que j’ai à dire, je ne compterai le dire qu’à eux. Si vous jugez, après la lecture de ce Mémoire, qu’ils en puissent tirer quelque fruit, il aura pour moi tout le mérite que je desire. Je n’ai pas assez de présomption pour croire qu’il en puisse avoir aucun autre. Ayant fort peu d’habitude à écrire, j’ai tâché de rendre mes pensées tout uniment, comme je les conçois. Je les ai arrangées comme elles me sont venues. Cela n’annonce pas un plan bien recherché. Quant à la diction, je ne m’en suis point tourmenté, comme vous vous en appercevrez aisément.

La même bonne-foi avec laquelle je vous préviens, Messieurs, de ce que vous pourrez trouver à redire à ce Mémoire, m’autorise aussi, à ce qu’il me semble, à vous annoncer ce que vous y pourrez trouver de bon. C’est ce qui en fait le fonds, que je ne croirois pas indigne de vous être proposé à vous-mêmes, si j’étois assez heureux pour rendre les choses comme je les sens. Au reste, ce fonds même, je ne vous le donne pas pour être de moi ; c’est un bien que je tiens d’un Maître qui m’est cher, & de qui je révérerai la mémoire jusqu’au dernier soupir. Vous


savez, Messieurs, quel homme c’étoit que M. de l’Argilière, & les admirables maximes qu’il s’étoit faites, par rapport aux grands effets & à la magie de notre Art. Il me les a toujours communiquées avec un véritable amour de père ; & c’est, je vous assure, avec le plus sensible plaisir que puisse sentir un honnête-homme, aimant véritablement son Art, & la jeunesse qui cherche tout de bon à s’y distinguer, que je les communique ici à mon tour.

M. de l’Argillière m’a dit une infinité de fois que c’étoit à l’Ecole de Flandres où il avoit été élevé, qu’il étoit particulièrement redevable de ces belles maximes dont il savoit faire un si heureux usage ; il m’a souvent témoigné la peine que lui causoit le peu de cas qu’il voyoit faire parmi nous des secours abondans que nous en pourrions tirer. Peut-être étoit-il un peu trop prévenu en faveur de cette mère-nourrice, qu’il n’a jamais cessé d’aimer tendrement. Il est certain qu’à bien des égards, il attribuoit de grands avantages à cette Ecole sur la nôtre. Il alloit jusqu’à prétendre que dans la partie même du Dessin, dans laquelle elle est assez foible, ses Artistes agissoient souvent sur de meilleurs principes que les nôtres ; & voici comme il raisonnoit :

« Qu’est-ce que le Dessin, disoit-il ? Une imitation exacte de l’objet qu’on veut représenter. Comment parvient-on à bien saisir cette imitation ? Par une grande habitude d’accuser le trait, tel qu’on le voit ; mais si le naturel, ou le modèle, dont on peut disposer, n’est pas des plus parfaits, doit-on l’imiter avec tous ses défauts ? Voilà où commence l’embarras. L’Ecole Flamande dit oui : la nôtre dit non. Il faut, dit l’Ecole Françoise, lorsque l’on dessine, d’après le naturel, corriger à l’aide du goût, ses défauts. Il faut, dit l’Ecole Flamande, accoutumer la jeunesse à rendre le naturel, tel qu’elle le voit, & si bien que dans les diverses Académies que dessineront les Élèves, l’on reconnoisse les différens modèles d’après lesquels ils les auront dessinées. Quand une fois ils en seront là, ils porteront la même exactitude l’étude de l’Antique, & avec beaucoup plus de profit que