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La Peinture proprement dite, devroit se défendre contre les effets de la charlatanerie : car la représentation ou l’imitation de la nature est soumise à être confrontée avec elle. Mais comme cette représentation n’est que feinte, qu’il faut par conséquent que ceux que en jugent, entrent dans quelques conventions & quelques connoissances des parties qui constituent l’Art de peindre ; ceux qui l’exercent peuvent employer & employent quelquefois des artifices contraires à la justesse des idées qu’on doit avoir, par conséquent nuisibles au goût & aux Arts en général.

Il se pourroit qu’on essayât peut-être de justifier ceux qui se permettent les artifices dont je veux parler, en disant que si, relativement à des ouvrages plus que jamais regardés comme objets de pur agrément, l’Artiste parvient à établir, dans l’opinion des personnes peu instruites qu’il met dans l’erreur, une conviction & une satisfaction qui les détermine à louer & à évaluer ses ouvrages autant qu’il le souhaite, les moyens qu’il se permet ne doivent pas être juges à la rigueur, & que l’espèce de charlatanerie qu’il employe est une adresse permise qu’on tolère dans une infinité d’objets plus importans.

Il est facile de répondre à cette justification, car, quelque tolérance que l’on ait, & quelqu’accroissement d’indulgence que puissent comporter nos mœurs, trop peu sévères à cet égard, il sera toujours essentiellement vil de tromper d’une façon méditée, pour l’intérêt personnel d’une vanité puérile, ou d’une cupidité injuste. Mais ce qui est évidemment nuisible, & qui devient la suite inévitable des louanges exagérées qu’on se donne, ou qu’on se fait donner, c’est l’opinion désavantageuse qu’on établit sur les Artistes dont on craint la concurrence, dans l’unique projet de leur être préféré ; c’est la fausseté avec laquelle on trahit les connoissances qu’on a ; c’est l’espèce de bassesse avec laquelle on déroge à la dignité & à l’élévation attachées aux Arts libéraux ; c’est enfin l’altération du goût, dont on se rend complice, puisque l’on y contribue volontairement, en y propageant l’ignorance, & en trahissant ainsi la cause nationale. L’improbité d’état, dont je parle, se permet en général une infinité de moyens qui la rapprochent des artifices à la vérité plus grossiers qu’employent les Charlatans proprement dits. Tels sont les soins de tromper, de séduire, d’intéresser, de captiver, d’employer enfin des Prôneurs, & de former des Enthousiastes.

Les Prôneurs sont ou des ignorans trompés, ou des demi-connoisseurs séduits & échauffés, ou des hommes qui, par imitation & par foiblesse de caractère, empruntent leurs opinions d’autrui, & les défendent ensuite comme si elles leur appartenoient. Dans ce nombre se trouvent les enthousiastes qui, désœuvrés & manquant de talens, sans manquer d’esprit, se forment une


existence qu’on peut appeller parasite, en s’identifiant à des Artistes, qu’ils ont l’air de protéger, de défendre, ou de placer à un rang qu’on leur refuseroit, sans les efforts généreux qu’ils font pour éclairer le Public, & pour lui dicter les jugemens qu’il doit porter. Lorsqu’un certain nombre de ces prôneurs se réunissent & concourent à l’intérêt ou à la vanité d’un Artiste, ils forment ce qu’on appelle un parti, & ce parti ou cette cabale est moins délicate encore sur les moyens dont elle se sert, que l’Artiste même, qui en est l’objet, & auquel elle finit très-souvent par nuire.

Le charlatanisme doit devenir fréquent, adroit & plus nuisible à mesure que les sociétés dans lesquelles il s’exerce, deviennent riches, & qu’elles le livrent plus généralement au luxe. Car la plupart des usages du luxe ont pour objet de substituer par les artifices souvent les plus grossiers, l’idée de la richesse à celle du mérite.

Pour revenir à nos Arts, on peut observer qu’ils sont d’autant plus exposés au charlatanisme, qu’ils sont susceptibles de plus grands profits, c’est-à-dire, que les Arts dont les entreprises sont vastes, lucratives, produisent plus de charlatans. Il faut y joindre ceux des Arts dont les principes sont susceptibles d’être généralement connus & bien compris. Car il est plus facile de donner des idées fausses, & d’induire en erreur sur les ouvrages artiels, lorsque le plus grand nombre de ceux à qui ils sont soumis, ne peuvent qu’avec peine parvenir à connoître clairement les bases & les principes des beautés qui leur sont propres. Tels sont parmi nous l’Architecture & la Musique.

L’on pourroit, en entrant dans de plus grands détails, parler des singularités & des affectations dans le discours, & dans les habillemens ; mais ces sortes d’artifices, dont l’effet est de fixer quelques momens les regards, manquent souvent leur but, & occasionnent alors un ridicule qui punit suffisamment ceux qui, par ces moyens, marchent de trop près sur les brisées des charlatans de profession. Pour revenir aux artifices plus nuisibles aux Arts du Dessin & de la Peinture, j’indiquerai les préparations, vernis, procédés mystérieux auxquels on attribue des avantages le plus souvent exagérés ou qui, peu durables & nuisibles, altèrent les ouvrages, & par conséquent sont un tort réel aux Artistes & aux Arts. Il est facile d’appercevoir, d’après ces élémens, les artifices que le desir immodéré du gain a suggéré dans presque toutes les branches de nos Arts ; par exemple, dans la Gravure & dans la Typographie.

On sait assez généralement que la Gravure simple & franche depuis son origine jusqu’à sa plus grande perfection, c’est-à-dire, jusqu’aux chefs-d’œuvres des Suyderhofs, des Vischer, des Poillis, des Drevets, n’obtenoit des succès qu’à