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sur ce qu’il croiroit s’appercevoir que la Nature lui a refusé les avantages qu’il croyoit trouver en lui ; c’est alors qu’il est bon de l’engager à fixer sur ce qu’on nomme célébrité, des regards absolument philosophiques, & dégagés de toute illusion. Qu’il se dise donc dans cette circonstance : la célébrité est le résultat de l’opinion d’un nombre d’hommes assez grand pour que cette opinion soit connue, répandue, & qu’elle paroisse stable & à l’abri des opinions contraires. Mais l’opinion d’un nombre d’hommes est-elle assez juste ? est-elle motivée assez solidement pour former une convention durable ? cette convention peut elle être invariable ? peut-on être certain qu’elle passera de génération en génération ? il en est des exemples, dira-t-on. Oui, quelques célébrités se sont soutenues contre la mobilité des esprits, contre les révolutions des tems, contre celles que les choses éprouvent & font partager aux opinions, enfin contre les préjugés qui s’établissent & se succèdent sans cesse parmi les hommes ; mais il est une vérité incontestable, c’est que ce nombre de célébrités acquises diminue de siécle en siécle, de lustre en lustre ; enfin d’autant plus que l’on suppose des époques successives plus éloignées les unes des autres. Si l’on considére d’une autre part les modifications de la célébrité, sur-tout de celle qui est attachée aux talens & aux Arts, relativement aux lieux où elle peut pénétrer, n’est-elle pas bornée aux grandes sociétés civilisées & éclairées, qui ne forment qu’une très-petite partie des sociétés humaines ? Dans les sociétés éclairées même, la célébrité dont je parle existe-t-elle autre part que dans les grandes Villes dans lesquelles il s’est formé des corps voués à s’instruire & à instruire les autres ? cette célébrité enfin existe-t-elle dans cette immensité de petites villes, de bourgs, de villages, de campagnes, dans lesquelles les Arts eux-mêmes sont à peine connus de nom ? cependant comme il pourroit résulter de ces réflexions sevères un découragement contraire au progrès des connoissances, & à quelques parties des satisfactions humaines, que l’Artiste digne de la célébrité, par le sentiment qu’il a de la nature de ses facultés intelligentes, & des efforts dont il est capable pour imiter les perfections qui le charment, soit convaincu que plus il en approche, en conservant la pureté d’intention que je lui ai supposée, plus il a droit de s’apprécier lui-même & de jouir, sinon d’une célébrité acquise, au moins d’une célébrité méritée, & sur-tout d’une satisfaction habituelle qui contribue à son bonheur ; qu’il se livre sans scrupule à ce plaisir de penser qu’il ne peut manquer d’obtenir un jour la célébrité qui lui appartient, & que cette idée, qui ne tient point à la vanité, mais à une conscience noble & pure de ce qu’il est, le dédommage de la marche tardive de cette célébrité, & l’empêche sur-tout de faire des réflexions contraires


à sa tranquillité sur les célébrités éphémères que les hommes n’accordent légèrement, que pour se conserver un droit plus absolu de se rétracter, & d’ôter quelquefois par une seconde injustice à ceux qui se sont rendus ses victimes, plus qu’ils ne leur avoient accordé.

CHAIRS. On se sert de cette expression dans le langage de la Peinture, lorsqu’on dit, par exemple, dans ce tableau les chairs sont admirablement peintes. Rubens peignoit les chairs d’une manière brillante. Il employoit dans les chairs des passages fins & agréables. Ce mot & les manières de l’employer, ont, comme on le voit, des relations sensibles, avec ce qu’on appelle carnation, coloris & couleurs, qui se trouvent heureusement rapprochés dans la collection des articles qu’exige la lettre C.

Peindre la chair ou les chairs, est dans la Peinture un objet d’autant plus important qu’il a lieu dans tous les tableaux où l’on copie la nature humaine, & sur-tout l’homme vivant & animé, comme dans l’histoire & dans le portrait sur-tout. C’est aussi un des objets les plus difficiles à bien rendre, parce que les chairs en effet sont susceptibles d’une infinité de dégradations, de finesses de tons & de passages qui exigent & une grande étude de la nature, & une grande legereté de pinceau. En parlant ici de la nature particulière des chairs, j’entends principalement la manière dont la lumière se réfléchit sur cette substance. L’Artiste observateur & jaloux de plaire, examine l’effet que produisent les différentes incidences de la lumière sur le visage d’une femme, sur ses bras, sur ses mains, sur son col & sa gorge, sur-tout si elle est blanche ; si sa peau est fine, transparente & légèrement colorée par le sang que couvre le tissu délicat de l’épiderme.

La consistance ferme, souple & poreuse, dont la nature, le printems de l’âge, & la santé douent une jeune beauté, modifie la lumière qui n’est pas renvoyée par le tissu de la peau, de la même manière que par les substances dures ou raboteuses, dont la surface résiste beaucoup davantage à l’incidence de ses rayons, ou en absorbe une trop grande partie.

La chair douce & élastique laisse pénétrer ses pores imperceptibles par une partie de la lumière, jusque dans la première couche de la peau ; delà refletée & renvoyée avec mollesse, elle porte à l’ame par les regards qui la fixent, l’idée de la vie & les sensations de la volupté ; observez encore que les courbures insensibles de la chair & sa transparence qui laisse appercevoir des veines, répandent sur les demi-teintes ou demi-lumières, des nuances légèrement bleuâtres, & qui conduisent par une douce gradation,-