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BROCANTER, BROCANTEUR, BROCANTE, BROCANTAGE. Brocanter, signifie vendre en détail ou troquer des tableaux, des ouvrages de luxe, des bijoux, des meubles d’agrément.

Le Brocanteur est celui qui exerce cette profession, dont les opérations sont d’autant plus arbitraires, qu’elles sont susceptibles de plus de combinaisons mercantiles & plus dépendantes des fantaisies & des modes.

La Brocante ou le Brocantage sont des termes du langage familier de la Peinture, & ces termes désignent les opérations dont j’ai parlé. On peut observer que notre langue offre, à l’égard de quelques professions ou métiers, des dénominations qui emportent avec elles une idée de la manière dont ils sont le plus souvent exercés. On entend généralement par Maquignon, non-seulement un homme qui vend & troque des chevaux, mais celui qui dans ce commerce est taxé de joindre fréquemment à l’intelligence permise, une adresse & des artifices moins estimables. On a moins de confiance au Cabaretier qu’au Marchand de vin en gros. Le Brocanteur est regardé en général comme étant à peu-près, à l’égard des tableaux dont il fait commerce, ce que le Cabaretier & le Maquignon sont à l’égard du vin & des chevaux. Le Brocanteur est donc taxé justement ou injustement de vendre ou de troquer le plus adroitement & le plus avantageusement qu’il le peut, des marchandises souvent déguisées & frelatées. L’idée que la Public a attachée au nom de Brocanteur, devroit naturellement mettre en garde ceux qui, pour satisfaire leur goût & leur fantaisie, achètent, ou se défont de ce qu’ils ont acheté ; mais, par une sorte de fatalité, l’Amateur peu expérimenté accorde d’autant plus facilement sa confiance au Brocanteur, que ses desirs sont plus ardens. Il est vrai que le Brocanteur, qui n’ignore pas que le nom qu’il porte doit être un signal de précautions & de défiance pour ceux qui achètent de lui, repose sa conscience sur le soin qu’on doit avoir de se mettre en garde. Caveat emptor est la base de sa tranquillité morale ; & pour la rendre plus inaltérable, il est le premier à établir les lumières & la sagacité des Amateurs, en leur prodiguant ces qualités, en raison de la générosité & de la confiance qu’on montre à son égard.

Au reste, il faut observer aussi que le jugement & l’appréciation des tableaux qu’étale le Brocanteur, exigeroit souvent, de la part des acheteurs, une finesse, une perspicacité & des connoissances qui sont le partage d’un bien petit nombre d’Amateurs & d’acheteurs. Distinguer la manière des maîtres, est une de ces connoissances ; mais il est un si grand nombre de maîtres, qu’il est difficile de bien conserver la mémoire & les caractères distinctifs de chacun. D’ailleurs, plusieurs


étant élèves les uns des autres, se sont ressemblés de manière à faire tomber dans la méprise ; &, ce qui est plus fâcheux, on peut parvenir à les copier avec une telle adresse, qu’on y soit aisément trompé. Dans l’Art de l’Ecriture, non-seulement le faussaire est puni, mais pour le juger & le convaincre, il existe des Vérificateurs autorisés : dans l’Art de peindre, le copiste est d’autant plus loué, qu’il trompe davantage, & il n’existe point encore de Vérificateurs en titre à qui l’on puisse avoir recours.

L’Amateur novice est donc exposé à être trompé, premièrement dans la connoissances des maîtres, & dans la distinction qu’il lui faut faire entre l’original & la copie ; mais il n’est pas au bout des épreuves de son noviciat.

Le Brocanteur, expert dans tous les moyens de sa profession, sait retoucher, repeindre, donner à propos au tableau le caractère respectable de l’ancienneté, ou la fraîcheur & l’éclat d’un âge moins imposant. Il ne se croit point obligé de répondre que ces caractères durent au-delà du tems nécessaire au marché. Il doit encore avoir le talent d’exposer ses tableaux au jour le plus favorable, de le parer d’une bordure qui annonce un ouvrage distingué & précieux. Il sait le vernir de manière à lui donner un éclat qui séduit même en éblouissant les yeux. Dans le nombre infini des artifices de la profession dont je parle, & dont tous les détails ne me sont pas connus, je ne dois pas oublier les facilités insidieuses que donnent ceux qui l’exercent, lorsqu’à l’aide d’un crédit onéreux, ils éludent la difficulté qu’auroit l’acheteur à s’acquitter avec lui. Alors le prix sur lequel il n’est plus trop facile de se débattre, n’a d’autre base d’évaluation que le desir de l’acheteur & la cupidité du marchand. Je dois mettre encore du nombre des moyens utiles au Brocanteur, les trocs dans lesquels il est naturel que le plus instruit & le plus exercé ait l’avantage.

Avec l’amour de la justice & de son prochain, ne seroit-on pas porté à desirer, lorsqu’on voit le goût des tableaux devenu jouissance de luxe, multiplier de plus en plus les Brocanteurs & leurs victimes, qu’il fut possible d’établir une commission d’Artistes-Vérificateurs, auxquels ceux qui seroient assez modestes pour convenir de leur peu de lumières, ceux qui sans secours sont obligés de s’instruire à trop grands frais, & qui quelquefois, semblables aux joueurs, le croyent autorisés par leurs pertes à faire quelques dupes, après s’être lassés de l’être, pourroient avoir recours dans l’occasion ?

Un souhait qu’on pourroit encore faire, seroit que quelque Brocanteur, bien instruit des mystères de sa profession, voulût bien donner au Public les détails de tous les moyens dont il auroit connoissance. Un ouvrage d’un Artiste esti-


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