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Roger au palais de la plus belle des Enchanteresses.


La porte s’ouvre. Une beauté divine
Marche vers lui ; c’étoit la belle Alcine.


D’un air de Reine, au milieu de sa cour,
Elle s’approche & chacun tour à tour,
A son exemple, & jaloux de lui plaire,
Vient honorer l’aimable voyageur
D’un tel accueil, qu’on ne pourroit mieux faire,
Quand de Psyché le divin séducteur
De sa présence embelliroit la terre.


Roger, touché de ces empressemens,
Regarde, admire & tout charme ses sens,
Mais le palais, quelqu’en fût l’élégance,
Et le brillant & la magnificence,
L’étonnoit moins que les êtres charmans
Qu’Alcine y tient sous sa douce puissance.


Nymphes sans nombre, instruites dans son art,
Par mille soins enchantoient le regard.
Toutes sembloient filles de même mère :
On leur trouvoit semblable caractère,
Mais nuancé par un art si parfait,
Qu’à faire un choix on auroit du regret.


On n’en a plus dès qu’on regarde Alcine.
Alcine a tout : attraits, grace divine,
Du Ciel les dons, de l’amour les faveurs.
De la beauté c’est le parfait modèle,
Elle est enfin de sa cour la plus belle,
Comme la Rose est la reine des fleurs.


Divin Poëte, instruit par la nature,
Ta main savante en trace le portrait,
Et je le vais copier trait pour trait.


D’abord tu peins sa belle chevelure ;
Elle étoit blonde : & par tresses unis,
Tombant sans art, flottant sans résistance,
Ses longs cheveux marioient leur nuance
Au doux accord des roses & des lys.


Son front riant a la juste mesure
Qui n’admet pas trop de sévérité ;
Un front altier menace la nature,
Étroit, il est souvent sans majesté.
Celui d’Alcine est noble, sans fierté.
C’est sous ce front & sous deux arcs d’ébène,
Où son regard lentement se promène,
Que des yeux noirs, mais doux & languissans,
Des cœurs blessés irritent les tourmens,
En paroissant compâtir à leur peine.

Mais poursuivons ; car le Peintre divin,
N’a rien omis de ce qu’on peut décrire.


Du nez parfait le trait correct & fin,
A tout censeur ou sévère ou malin,
Dans son profil n’offre rien à redire.
Et chaque joue a du doigt de l’amour,
Vers le sommet, cette empreinte légère
Dont il désigne & marque pour sa cour,
Pour ses plaisirs, les beautés qu’il préfère.


L’Amour encor, de son adroite main,
A dirigé, d’après son arc divin,
L’heureux contour de ses lèvres de rose.
Du trait mouvant la volupté dispose,
Et c’est alors qu’à travers le corail
Brille aux regards le pur & blanc émail
De deux beaux rangs de perles éclatantes.


Là se module un son plein de douceur.
Là sont formés des accens enchanteurs,
Mots emmiellés, paroles engageantes,
Appas des sens & délice des cœurs.


C’est encore là qu’ennemi des langueurs,
S’épanouit le fin & gai sourire.
Tout s’embellit au charme qu’il inspire :
Le Ciel ouvert devient pur & serein ;
On croit errer au beau verger d’Eden.


Mais oubliez ce charme & sa puissance,
Pour admirer la forme, l’élégance
D’un col parfait & plus blanc que les lys.
S’élève-t-il ? ses muscles arrondis
Par leur souplesse offrent la noble aisance,
Qu’ont, en nageant, les Cygnes de Cypris :
Eh ! Cypris même avoit du sein d’Alcine
Pris le modèle & la forme divine
De la beauté quand elle obtint le prix.


Un double mont, que l’œil ardent caresse,
Sur ce beau sein & s’élève & s’abaisse,
Comme le flot que l’air du matin presse,
Ou que Zéphire amoureux fait mouvoir.
D’Argus, hélas ! qui ne voudroit avoir
Tous les cent yeux pour admirer ensemble
Tant de trésors qu’un seul objet rassembles
Qui ne voudroit du Lynx à l’œil perçant
Lancer encor le regard pénétrant,
Pour entrevoir ce qu’on ne peut atteindre ?
Non moins ardent, Roger vient de se peindre
Par ce qu’il voit, tout ce qu’il ne voit pas.
Mais moi qui sais ce qu’on doit taire ou dire,
Pour ne blesser les esprits délicats,
En ce moment je me tiens à décrire
Des bras parfaits on tous leurs mouvemens.


Cette beauté n’est pas tant ordinaire
Qu’on le croiroit, & de tous agrémens,
Mesure juste est la source & la mère,